Memorandum 2012


Memorandum 2012


Pour une école publique performante et équitable!


Memorandum du SEW-OGBL



Il y a une quinzaine d’années, l’OGBL avait publié en concertation avec le SEW une série de réflexions et de propositions sur la politique de l’éducation et de la formation.

Ce texte publié en octobre 1998 partait des changements et problèmes de société auxquels l’école doit faire face: société de consommation, rôle de la famille, chômage, situation linguistique particulière du Luxembourg, individualisme, inégalité de l’accès aux études.

Pour permettre à l’école de réagir adéquatement, les différents acteurs impliqués – enseignants, élèves, parents et responsables politiques - étaient appelés à coopérer et des objectifs et revendications prioritaires furent mis en évidence. En voici les principaux:
  • instruire, éduquer, apprendre à être et développer la créativité dans le cadre de la scolarité obligatoire;
  • éviter la ségrégation et améliorer le passage entre l’enseignement primaire et post-primaire;
  • aborder résolument le problème des langues dans l’enseignement luxembourgeois
    • en accordant une valeur égale à l’enseignement du français et de l’allemand
    • en offrant à tous les élèves la médiation dont ils ont besoin pour acquérir ces deux langues
    • en encourageant les résidents non-luxembourgeois à apprendre le luxembourgeois;
  • donner la meilleure qualification possible à chaque élève
    • en mettant l’accent sur les premiers apprentissages et en aidant individuellement
    • en adaptant les contenus et en variant les méthodes d’enseignement
    • en encourageant le travail autonome
    • en promouvant l’évaluation formative;
  • donner à l’école publique les moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs ambitieux
    • en investissant dans les infrastructures
    • en recrutant et en formant des enseignants en nombre suffisant;
  • mettre en place des structures garantissant la participation démocratique de tous les acteurs.

En ce début de l’année 2012, nous pensons que la performance, la justice sociale et la démocratie inhérents à notre système éducatif ont plutôt diminué.

Cela ne veut pas dire que les acteurs politiques n’aient rien entrepris, bien au contraire!

Au cours des 10 dernières années et sous le couvert de mots d’ordre progressifs, les responsables de l’Education nationale ont initié dans notre système éducatif un ensemble de réformes d’inspiration néolibérale, qui en fin de compte l’ont rendu moins performant pour le commun des élèves, diminuant ainsi l’égalité des chances. Quant au prétendu “dialogue avec les partenaires scolaires”, nous le vivons quotidiennement comme une pièce de théâtre où le MENFP assume le premier rôle, écrit pour l’essentiel par l’OCDE et autres experts libéraux, alors que les enseignants, les élèves, et leurs parents y sont tout au plus appelés à intervenir comme figurants.

Nous voudrions dans ce mémorandum illustrer ces propos, pointer du doigt les principales déviations néfastes de notre système éducatif et proposer une marche à suivre.


PISA



Les tests PISA ont abouti à un classement peu favorable du Luxembourg et ils ont mis en évidence des différences de niveau de performance particulièrement élevées dans notre pays.

Ces résultats médiocres ont donné lieu à des discussions animées quant à la véracité de l’échantillonnage dans les autres pays face au Luxembourg où tous les élèves de la classe d’âge visée ont été testés.

Alors que la question de l’échantillonnage n’est pas négligeable, nous considérons les résultats de ces tests comme fortement biaisées pour le Luxembourg, et cela pour les raisons suivantes :
  • au Luxembourg la langue véhiculaire de l’enseignement n’est pas la langue maternelle des élèves;
  • au Luxembourg, pays à forte immigration, les problèmes linguistiques viennent s’ajouter aux problèmes d’origine sociale;
  • dans les questions des tests PISA, l’accent est mis sur le savoir-faire et les techniques d’analyse, alors que notre enseignement demeure axé sur le savoir et la culture générale; rien d’étonnant donc que dans le peloton de tête figurent les pays qui depuis pas mal d’années ont adopté un enseignement basé sur la pédagogie des compétences1;
  • les connaissances de nos élèves au niveau de différentes langues ne sont nullement prises en considération.

Nous ne contestons pas que les chances de réussite scolaire soient liées à l’origine sociale, mais cela était connu bien avant les tests PISA; nous pensons à cet égard notamment aux résultats de l’étude MAGRIP des ,années 1970.

Qu’a-t-on entrepris au Luxembourg pour augmenter les chances des enfants issus de milieux défavorisés ou/et immigrés depuis cette étude des années 1970 ou encore depuis la publication de la première étude PISA? Rien, à notre connaissance! Or, l’inégalité des chances n’a pas seulement des conséquences individuelles graves, mais elle mine l’avenir économique et social dans son ensemble. Il est dès lors insoutenable qu’une partie importante de la population scolaire, qu’elle soit luxembourgeoise ou immigrée, se trouve en situation d’échec ou soit orientée vers des formations de pacotille.

Aujourd’hui, avec l’écart suffisant, les tests PISA nous apparaissent comme un moyen essentiel pour mettre ,les systèmes scolaires au pas de l’économie. Les différents pays sont classés en fonction des résultats obtenus dans des épreuves standardisées suivant les bases de l’enseignement par compétences. Fred van Leeuwen, le Secrétaire général de l’Internationale de Education a exhorté les parents et les décideurs à lire de tels rapports d’un oeil sceptique. «Les complexités de l’éducation ne peuvent pas être réduites à des scores sportifs, dans lesquels certains enfants sont décrits comme des gagnants et d’autres comme des perdants». Et d’ajouter qu’il est «préoccupant de voir les gouvernements nationaux mettre en oeuvre des réformes de l’éducation avec l’objectif déclaré de se classer plus haut dans PISA. De tels objectifs superficiels sont profondément menaçants pour la qualité de l’éducation et l’accès à l’éducation pour tous.».


Approche par compétences




La compétence est bien l’un de ces termes ambigus et a priori positifs propagés par l’OCDE et consorts pour modifier finalement de fond en comble les visées de l’enseignement et de l’éducation. Quel enseignant en ,effet ne viserait pas à rendre ses élèves compétents? Or en suivant la voie de l’enseignement et de l’évaluation par compétences, il s’engage sur un tout autre terrain: celui de l’inféodation au monde économique, celui de la fixation sur l’apprentissage de techniques aux dépens des savoirs, celui du fétichisme de l’activité des élèves, celui d’une méthodologie et d’une évaluation extrêmement lourdes et bureaucratisées.

Deux réformes récentes importantes – celles de l’enseignement fondamental et de l’enseignement professionnel ont instauré l’approche par compétences dans le système éducatif luxembourgeois, avec les résultats qu’on connaît:
  • une bureaucratisation extrême de l’évaluation dans l’enseignement fondamental, accaparant le temps de l’instituteur et aboutissant à des bilans incompréhensibles;
  • des référentiels extrêmement vagues dans l’enseignement professionnel, sujets – en l’absence de contenus et de manuels – à des interprétations individuelles de la part des enseignants et assortis de critères d’évaluation opaques, enlevant toute valeur commune aux diplômes, qui ne sont plus sanctionnés par un examen au niveau national.

L’approche par compétences utilise une argumentation progressiste qui a piége nombre d’enseignants, au Luxembourg comme ailleurs. Dans son article «L’approche par compétences: une mystification pédagogique », paru en septembre 2009, Nico Hirtt professeur agrégé belge en physique et en mathématique, cite l’un des protagonistes de l’enseignement par compétences, Chris De Meerler, en ces termes: «Les idées de diversité et de flexibilité sont au centre de l’enseignement orienté sur les compétences. A l’école comme dans l’entreprise, les gens construisent leur trajectoire d’apprentissage.
Cela se fait par la mise en évidence d’objectifs individuels. De nouveaux instruments, comme les plans de développement personnels, les portfolios, les plans d’action et entretiens de fonctionnement, etc. cadrent dans cette évolution».
Nico Hirtt répond à cet encensement «Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ce qui va avant tout déterminer ce prétendu « rythme propre à l’enfant » c’est le rythme propre à sa classe sociale! Gageons que dans les familles de médecins et de cadres on ne se satisfera pas de tâches (et de compétences) superficielles».

A plusieurs reprises, le SEW a mis en garde contre la mise en place indifférenciée de l’approche par compétences, cela notamment dans son avis sur le document d’orientation du MENFP au sujet de la réforme du secondaire. Ce document pèche par la fixation de ses auteurs sur l’approche par compétences aux dépens de la transmission de savoirs. En mentionnant 8 fois le terme «savoir»- dont trois fois négativement - et 66 fois le terme «compétence», le document en question reflète parfaitement la logique réductrice des savoirs et de leur structuration au profit de la réalisation de tâches, qui est propre à l’approche par compétences.

Par ailleurs, cette approche est à présent de plus en plus contestée tant au niveau des objectifs et des contenus de l’enseignement, qu’au niveau d’une évaluation objective et juste des élèves.

Ainsi, Marcel Crahay, professeur à l’Université de Liège et ancien protagoniste de l’approche par compétences écrit, dans un article publié en 2006 2: «La logique de la compétence est, au départ, un costume taillé sur mesure pour le monde de l’entreprise. Dès lors qu’on s’obstine à en revêtir l’école, celle-ci est engoncée dans un habit trop étriqué eu égard à sa dimension nécessairement humaniste.
Il est urgent que l’école se dégage de l’emprise de l’économisme qui s’insinue dans tous ses rouages, intellectuels et organisationnels.»


Quant à l’évaluation des compétences dites transversales ou «super-compétences», comme l’autonomie, la communicativité, la créativité ou encore la capacité à résoudre des problèmes,
  • elle demande de placer les élèves sous observation permanente au moyen de grilles d’indicateurs comportementaux subjectifs, ce qui exige une paperasserie administrative énorme et une surveillance peu constructive voire inhumaine de la part des enseignants;cela ira aux dépens tant de la disponibilité des enseignants à soutenir les élèves dans leur développement scolaire que de la créativité et de la spontanéité de ceux-ci;
  • elle se nourrit de l’illusion qu’on pourrait évaluer des compétences générales en faisant abstraction des contenus d’une discipline précise. Il est évident qu’on ne peut pas faire une recherche autonome et «compétente» sur un sujet économique sans connaître les fondements essentiels en économie; qu’on ne peut pas communiquer sans savoir manier la langue de communication; qu’on ne peut pas être créatif en musique sans connaître des techniques musicales; qu’on ne peut pas résoudre des problèmes en mathématiques sans en connaître les bases essentielles. Or l’évaluation de compétences transversales prétend précisément cela.

Des objectifs d’apprentissage du genre «être capable de résoudre un problème» ne veulent strictement rien dire. Bernard Rey, titulaire de la chaire internationale en éducation à l’Université Libre de Bruxelles écrit à ce sujet «Savoir résoudre une équation du second degré est une compétence. En revanche, savoir résoudre un problème n’est pas une compétence, c’est une parole vide. C’est tout au plus une spéculation de psychologues».
Quant au remplacement des notes par des grilles à cocher comprenant de multiples descriptions de compétences, citons encore une fois Nico Hirtt: «Il y a, dans tout jugement scolaire, une part importante de subjectif. Il vaut mieux assumer cette part d’incertitude et en rester conscient que de prétendre l’éliminer en la camouflant derrière des cotes à trois décimales.
Aujourd’hui, le projet qui nous est soumis semble abandonner les chiffres pour les « + « et les « - «. Signe des temps! A l’ère du benchmarking et de la mondialisation, ,les illusions scientistes n’ont plus la forme de la rationalité chiffrée, mais celle des grilles et des formulaires préformatés, chers aux psychologues d’entreprises.»



Traité de Lisbonne et compétitivité





Parmi les mots d’ordre du Traité de Lisbonne, qui avait pour objectif de «faire de l’Union européenne la région la plus compétitive du monde» figurent l’augmentation du nombre de diplômes et la généralisation de l’apprentissage tout au long de la vie.

L’argumentaire de la «Proposition de textes d’une loi sur l’enseignement secondaire» insiste sur la «mission de l’Ecole de qualifier»: suivant l’OCDE, le système scolaire luxembourgeois ne délivrerait pas assez de diplômes et il faudrait donc «qualifier plus et qualifier mieux».
Quant aux mesures proposées dans ce texte ou réalisées déjà dans le cadre des réformes de l’enseignement fondamental et de l’enseignement professionnel, ce sont:
  • le redoublement appelé à devenir exceptionnel ,tous régimes confondus;
  • l’abolition des notes dans l’enseignement fondamental et l’enseignement professionnel;
  • la disparition des examens au niveau national dans l’enseignement professionnel;
  • l’allègement des formations dans l’enseignement professionnel;
  • la diminution prévue du niveau de l’enseignement des langues dans le cycle supérieur de l’ES et durégime technique de l’EST.

Il faut se rendre à l’évidence que cette démarche (réduire les exigences, introduire la «flexibilité» et casser le thermomètre) permet certainement de qualifier plus en nombre, mais certainement pas mieux en qualité!

Notons que depuis une quinzaine d’années, des dispositions de compensation extrêmement larges, doublées d’une orientation vers des filières inférieures (orientation dont des parents mal informés ne s’aperçoivent souvent même pas) permettent de drainer les élèves au moindre coût à travers le cycle inférieur de l’EST. Nombre d’entre eux se retrouvent après la classe de 9e sans moyens pour aborder un métier; la voie vers le chômage paraît ainsi tracée d’avance 3.

Le Projet Cycle Inférieur (PROCI) est souvent cité en exemple pour montrer la voie tracée sans redoublement.

Sans vouloir nier que le PROCI comporte des éléments positifs quant au suivi des élèves, l’analyse de leurs résultats a révélé qu’il profite surtout aux bons élèves et qu’il les oriente davantage vers le régime professionnel que vers le régime technique.

Les adversaires du redoublement font comme si ,l’origine et la clé du problème étaient le redoublement, respectivement son abolition. Nous pensons au contraire que le redoublement n’est que l’expression d’un déficit grave qu’il ne faut pas passer sous silence, mais qui doit être comblé pour mieux qualifier. On touche ici aussi bien à la question essentielle des moyens à mettre en oeuvre qu’à celle de la motivation des élèves.

A l’occasion de la réforme de l’enseignement professionnel, la formation du technicien a été démantelée avec l’argumentation de la part du MENFP que la formation du technicien serait trop difficile et les échecs trop importants; de nombreux jeunes s’engageraient dans des voies de formation qui dépasseraient leurs capacités et échoueraient finalement. Et d’ajouter que dans une logique d’apprentissage tout au long de la vie, ces élèves pourraient toujours apprendre demain ce qu’ils n’apprennent pas aujourd’hui! Rien que ce dernier argument appelle une objection évidente: l’obtention d’une bonne formation de base augmente les chances du «lifelong learning» tandis que l’absence d’une telle formation réduit fortement ces chances tout au long de la vie. Il est effarant de voir des responsables politiques se servir du mot d’ordre «lifelong learning» pour plaider contre le maintien d’un diplôme valable! Quant à l’accès aux études supérieures, qui ne sera désormais plus possible pour les techniciens ordinaires, on propose un prix de consolation: l’article 35 de la loi portant organisation de la formation professionnelle prévoit que «les détenteurs du diplôme de technicien peuvent avoir accès à des études techniques supérieures dans leur spécialité à condition d’avoir réussi tous les modules préparatoires prescrits». Or, le manque de bagage en langues ou en mathématiques des futurs techniciens et le fait que ces cours préparatoires auraient lieu en dehors de l’horaire normal rendent cette alternative illusoire.

A un moment où le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche déclare que plus de 50 % des emplois créés au Luxembourg sont des emplois «Bac+» et que dans les spécialités du tertiaire administratif, les entreprises recrutent de plus en plus de jeunes ayant un niveau de formation allant du BTS au Master, il est suicidaire d’ériger des barrières à l’accès à une formation supérieure des futurs techniciens.

Il faut noter par ailleurs qu’actuellement certaines formations du BTS (BAC+2) proposées par le LTECG sont fréquentées par +/- 30 % d’élèves détenteurs du diplôme de technicien commercial. Mis à part le fait que ceci ne constitue certainement pas une mauvaise note pour l’ancienne formation encore en cours du Technicien administratif et commercial, on comprend facilement que les responsables du LTECG craignent que cette proportion risque de diminuer dramatiquement avec la mise en place progressive de la réforme de la formation professionnelle.

Une telle stratégie n’est compatible ni avec les intérêts des élèves, ni avec ceux du développement économique du pays! Il n’est en effet pas admissible que notre système scolaire soit organisé de façon telle que beaucoup de résidents se présenteraient sur le marché du travail avec une formation de niveau DAP ou légèrement supérieure (technicien), alors que les frontaliers seraient recrutés au niveau bac+!

Voilà quelques exemples qui montrent que le bradage des diplômes accentue l’injustice sociale -ce ne sont certainement pas les enfants des ménages bien lotis qui sortiront du système sans qualification ou qui feront les frais d’un bradage des diplômes - et qu’il nuit aux intérêts du pays!


Voici arrivé le tour de l’enseignement secondaire ...




Après l’enseignement professionnel, voici que l’enseignement secondaire se voit exposé au même type de réforme: introduction de l’enseignement par compétences; drainage des élèves à travers le cycle inférieur; allègement des performances visées.

Parmi les nombreuses critiques à ce projet de réforme que nous avons décrites dans deux avis successifs, nous voudrions insister ici sur l’abaissement prévu de l’enseignement des langues.

Il faut noter avec grande attention ce que le MENFP souligne dans le dossier de presse du «Complément au document d’orientation pour la réforme des classes supérieures»: «Pour améliorer les capacités de communication de tous les élèves, l’apprentissage formel des langues ... sera étendu aux classes supérieures». En d’autres termes: après 10 années de cours d’allemand et après 9 années de cours de français, beaucoup d’élèves ne sont toujours pas en mesure de formuler des phrases correctes! Cela n’étonne pas, vu les dispositions de compensation laxistes dans le cycle inférieur et en prévision du passage quasi-automatique par le cycle inférieur qui est prévu dans le projet de réforme.

Ainsi donc l’étude de la syntaxe et de la grammaire devra-t-elle être prolongée dans le cycle supérieur et cela naturellement aux dépens de la littérature! Si l’on peut admettre que la littérature a souvent été suraccentuée dans le passé, particulièrement dans les cours de français, il nous semble qu’à présent on prend le contre-pied et qu’on réduit le rôle des langues à celui de moyen de communication.

Cette réorientation fondamentale de l’enseignement linguistique est d’autant plus évidente que la réforme s’appuie sur le cadre de référence européen des langues pour définir les compétences linguistiques des élèves dans les quatre domaines-clés (écouter, lire, parler, écrire).

Ce cadre de référence considère seulement la dimension fonctionnelle d’une langue, alors qu’il néglige des domaines importants comme la culture et la littérature.

Dans la situation particulière du Luxembourg, il faut mettre en garde contre l’utilisation indifférenciée du cadre de référence européen pour l’enseignement du français et de l’allemand dans notre pays! Alors que ce cadre pourrait être approprié pour décrire les progrès des élèves lors de l’apprentissage d’une nouvelle langue étrangère, comme pour l’anglais en classe de 6e /8e, il pose de grands problèmes en relation avec l’apprentissage des langues française et allemande au Grand-Duché. La singularité du Luxembourg consiste précisément dans le rapport simplifié que pratiquement chaque enfant dans notre pays a avec au moins l’une de ces deux langues. D’un côté les enfants dont la langue maternelle est le luxembourgeois sont confrontés très tôt avec la langue allemande et l’apprennent beaucoup plus rapidement que d’autres langues étrangères» sur la base des similitudes avec leur langue maternelle. De l’autre côté, chez la plupart des enfants issus de l’immigration il existe un accès facile à la langue française, parce qu’ils utilisent le français depuis la prime enfance comme deuxième langue.

Or, du fait de l’application simpliste du cadre de référence avec ses standards minima souvent extrêmement bas, notamment dans le domaine réceptif (compréhension d’audition et compréhension de lecture), ces relations de prédilection qu’il faudrait encourager sont tout simplement ignorées et toutes les langues sont considérées comme des langues étrangères.

Notre conclusion est claire: l’exclusion des aspects culturel et littéraire d’une part et les faibles standards minima dans certains domaines d’autre part risquent d’appauvrir l’enseignement des langues actuellement si riche au Luxembourg. Les adolescents seront conditionnés à s’adapter aux exigences du marché de l’emploi dans le plus de langues possibles, tandis que l’expérience d’une langue comme forme d’expression culturelle et littéraire leur sera refusée.

Il serait déplorable si l’aspect culturel et par là un certain moyen d’identification viendraient à se perdre.

Selon Bruno Bettelheim, psychiatre et écrivain, une langue s’apprend justement par ses chefs d’oeuvres. Il a prouvé qu’en minimisant les exigences, les moyens d’expression et le vocabulaire des jeunes s’appauvrissent à l’extrême, alors que travailler avec des textes exigeants permet de bien développer les facultés langagières. De plus, l’école est une des meilleures et pour certains la seule institution qui permette d’aborder des oeuvres littéraires.

Mais de telles préoccupations semblent malheureusement très éloignées de celles des «maîtres à penser» du MENFP!


Un vrai dialogue! ... enfin?




La transformation de fond en comble de l’enseignement fondamental et de l’enseignement professionnel est issue d’un changement radical de penser l’enseignement.

Ce changement de paradigme, élaboré par les «think tanks» du néolibéralisme et dicté par les institutions internationales dont le Luxembourg fait partie, -Union européenne et OCDE - a jusqu’à présent été mis en oeuvre par le MENFP sans résistance majeure.

Le MENFP, chargé de traduire ces idées dans la législation nationale n’a certes pas manqué d’afficher une volonté de dialogue de façade, mais les nombreux avis et contre-propositions des commissions nationales de programmes, des conférences plénières des lycées et lycées techniques et des syndicats des enseignants n’ont donné lieu à aucune modification fondamentale.

Quant aux élèves et à leurs parents,ce n’est que depuis peu de temps qu’ils se manifestent de manière critique!

Il faut dire à ce sujet que les parents se soucient surtout du sort de leurs propres enfants et - cela est d’autant plus vrai pour les parents des élèves de l’enseignement professionnel – que la plupart ne s’engagent guère dans les méandres d’un débat sur les finalités de l’enseignement.

Ceci soulève évidemment la question de la représentativité des organisations parentales.

Le manque d’estime du MENFP pour l’opinion des enseignants, mais aussi la peur d’une discussion plus fondamentale sont devenus flagrants dans la loi portant réforme de la formation professionnelle.

Il est en effet remarquable que dans le , instauré par la nouvelle loi, et qui prend les décisions fondamentales sur l’orientation des différentes formations, tous les partenaires de la formation professionnelle, y compris les élèves et les parents d’élèves sont représentés – sauf les enseignants. Ceux-ci ne figurent d’ailleurs pas non plus dans les autres organes de décision, d’évaluation et de certification mis en place par cette loi, à l’exception de la Commission nationale de formation. Ils se trouvent relégués aux équipes curriculaires (là où du travail exécutif de conception est à l’ordre du jour) ainsi qu’aux tâches de formation et d’évaluation dans les lycées techniques.

Voilà une vraie leçon sur la disponibilité au dialogue du MEN!

Pourtant, si les projets de réforme de l’enseignement fondamental et de l’enseignement professionnel sont passés sans problèmes par un parlement acquis en grande majorité aux idées néo-libérales, c’est leur mise en oeuvre pratique qui bloque à présent: dans l’enseignement fondamental, les enseignants et les parents ne se retrouvent plus dans des bilans illisibles et dans l’enseignement professionnel, l’implantation des nouvelles formations se révèle être un véritable fiasco.

Ce qui a fait dire à la ministre de l’Education nationale qu’elle veillerait désormais au consensus.

Or, la publication de sa “Proposition de texte d’une loi sur l’enseignement secondaire”, publié quelques jours après la grande manifestation de plusieurs milliers d’enseignants au Centre Atert à Bertrange n’a nullement tenu compte des principales objections de ceux-ci.

Il a fallu que lors des cinq réunions régionales convoquées par le MENFP, les enseignants aient demandé à la quasi-unanimité la «mise à plat» de la réforme proposée pour que quelques jours avant la grande manifestation du 22 mars rassemblant plus de 6.000 participants, la ministre ait enfin cédé et qu’elle soit à présent d’accord pour accorder du temps à une discussion fondamentale!

A vrai dire, devant l’unité des enseignants, elle n’avait pas le choix!



Projet de réforme de la Fonction publique: la même orientation antidémocratique




Nous nous sommes fait reprocher à plusieurs reprises qu’en menant campagne à la fois contre l’avant-projet de réforme statutaire de la Fonction publique et contre la réforme de l’enseignement secondaire présenté par le MENFP, nous mélangerions deux projets qui n’auraient rien à voir l’un avec l’autre et que notre seul but consisterait à rassembler le plus de mécontents possibles.

Or, issus tous les deux du berceau libéral de l’OCDE, les deux projets portent des marques communes :
  • la gestion par objectifs triennale inscrite dans la réforme de la fonction publique se retrouve dans le plan de développement scolaire de la réforme du secondaire,
  • les procédures d’évaluation par compétences sont comparables dans les deux projets,
  • l’esprit de concurrence néfaste est suscité aussi bien entre fonctionnaires qu’entre lycées pour ne citer que ces trois indices majeurs.

Il s’agit donc bien pour nous de mener un même combat tant contre l’asservissement de l’école aux intérêts et aux méthodes de l’économie libérale que contre la transformation de l’enseignant en bureaucrate soumis par la peur des sanctions et la soif des récompenses.


Démasquer la terminologie libérale, défendre l’école publique!




Alors que les enseignants du Luxembourg ont pris conscience des enjeux et qu’ils sont plus déterminés que jamais à ne plus se laisser faire, il faut à présent identifier les vrais problèmes en analysant le système d’enseignement en place, définir les enjeux et formuler des revendications progressistes et viables.

Le SEW n’a pas la réputation d’être un syndicat conservateur et si nous refusons les réformes en cause, c’est qu’elles ne répondent pas aux critères auxquels nous mesurons toujours la valeur de toute réforme: l’augmentation de la performance de l’école publique et une meilleure justice sociale.

Le SEW ne considère nullement que l’école actuelle soit parfaite et qu’elle n’aurait pas besoin de s’adapter.

L’école reproduit traditionnellement les injustices sociales; or, avec la recrudescence des inégalités dans la société capitaliste, les injustices sociales ont tendance à s’accentuer à l’école.

De nombreuses injustices résultent particulièrement du phénomène migratoire, qui est une des caractéristiques marquantes de la société luxembourgeoise et de son école. C’est là notamment qu’il faudra enfin agir avec détermination!

Mais ce n’est pas en utilisant des mots d’ordre prétendument progressistes comme «mettre l’enfant au centre de l’intérêt» ou en usurpant de concepts apparemment logiques et soutenables comme les compétences que seront résolus les problèmes auxquels l’école publique est confrontée actuellement, qu’elle deviendra plus performante et que l’injustice sociale sera combattue, bien au contraire!

Nous disons d’abord que ces faux-semblants qui ont soutenu les réformes récentes de l’enseignement fondamental et de la formation professionnelle véhiculent une idéologie purement individualiste, inégalitaire, antisociale et nuisible pour l’avenir de la grande majorité des élèves et tendent à démanteler l’école publique. 4

Nous insistons ensuite que ce n’est pas une nième réforme structurelle qui permettra d’aller à la rencontre des difficultés de l’école publique et de ses élèves mais au contraire une démarche pédagogique adaptée!
Nous voici donc confrontés à deux combats :
  • il faut en premier lieu stopper le rouleau compresseur du MENFP; l’empêcher de détruire ce qui reste de l’enseignement public en état de fonctionnement correct, et réhabiliter l’enseignement fondamental et l’enseignement professionnel, qui se trouvent sur la pente raide.

    C’est l’objet de la mobilisation que nous menons depuis novembre 2011 –et qui avec l’ajournement de la réforme du lycée vient de connaître un premier succès!
  • Il faut ensuite et parallèlement à cela, affirmer et décrire concrètement notre projet pour un enseignement performant, capable de combattre les inégalités sociales croissantes et de former des citoyens et des professionnels compétents, responsables et engagés.

C’est ce que nous tenterons de réaliser, ensemble avec les autres syndicats enseignants et avec les collègues dans les écoles et les lycées.

Pour pouvoir avancer en connaissance de cause, un inventaire précis de la situation dans les écoles et les lycées s’impose comme condition préalable, doublée des deux questions fondamentales: quels sont les blocages au niveau de l’apprentissage au sens large que nous observons chez un nombre très élevé de jeunes et comment pourra-t-on les lever?

Le manque de motivation de nombreux élèves résulte de multiples facteurs, qu’il faut connaître et combattre et ce n’est certainement pas à travers un allègement des conditions de réussite qu’il faudra y répondre!

Nous devrons au contraire installer d’une part des règles précises et claires, dont le respect devra être assuré avec conséquence et mettre en oeuvre d’autre part un système d’aide scolaire et de soutien pédagogique et psychologique dès les premières années de l’école fondamentale.

Cela nécessitera des moyens personnels et financiers importants. Mais c’est bien cela le prix à payer pour une école publique et une société plus justes et plus performantes!

Luxembourg, le 16 avril 2012



1 La stratégie de l’OCDE consiste ainsi à imposer, à travers des tests du genre PISA, sa vision de l’éducation dans les systèmes scolaires des pays membres. Ainsi, selon Jochen Krautz, (Bildung als Anpassung – Fromm Forum 13/2209), «PISA testet nicht gelerntes Wissen: nicht einmal die konkreten Aufgaben in Lesen und Schreiben, Mathematik und Naturwissenschaften stimmen mit den Lehrplänen der Länder überein. Da überall dieselben Aufgaben gestellt werden, ist ein Eingehen auf nationale Besonderheiten nicht möglich und auch nicht gewollt.
PISA testet also Fähigkeiten, die die Schüler überhaupt nicht gelernt haben können, weil sie nicht Gegenstand des Unterrichts waren. Damit wird das neue, OECD-eigene Bildungskonzept durch die Hintertür eingeführt und verpflichtend gemacht».

2 Marcel Crahay: Dangers, incertitudes et incomplétude de la logique de la compétence en éducation, Revue française de pédagogie, 2006.

3 Lors d’une interview au «tageblatt», la ministre a confirmé que par la réforme prévue, cette approche sans redoublement serait généralisée; dans un encart se trouve l’explication que les élèves qui n’auraient pas atteint le niveau requis passeraient à, un niveau de formation scolaire inférieur.

4 Serait-ce dans l’ordre d’idées du traité GATT (General Agreement on Tariffs and Trades) que le Luxembourg a signé discrètement il y a quelques décennies et qui prévoit la privatisation des institutions publiques, mises à part la police et l’armée?