Nº 2353 Enfants dyslexiques (03/03/2008 Marc Spautz) Q/R
03.03.2008
Monsieur le Président,
Par la présente, j'ai l'honneur de vous informer que, conformément à l'article 80 du Règlement de la Chambre des Députés, je souhaiterais poser plusieurs questions à Madame la Ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle, Mady Delvaux-Stehres au sujet des enfants dyslexiques au Luxembourg. La dyslexie est une difficulté spécifique d'apprentissage de la lecture courante chez un enfant qui ne présente pas par ailleurs de déficit intellectuel ou sensoriel. Ce trouble peut provoquer des retards scolaires importants chez les enfants concernés qui éprouvent d'énormes difficultés à manipuler la lecture et l'écriture. Ils inversent et confondent en particulier les lettres ou les syllabes des mots.
Voilà pourquoi il est important de dépister ces troubles aussi tôt que possible pour essayer d'y remédier par l'orthophonie.
Dans ce contexte, j'aimerais poser les questions suivantes à Madame la Ministre:
Combien d'enfants sont touchés par cette maladie au Luxembourg?
Existe-t-i1 des programmes, du personnel ainsi que des locaux spécifiques pour la prise en charge de ces enfants dans nos écoles primaires, comme c'est le cas à l'étranger?
Comment la scolarité de ces enfants est-elle organisée?
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération.
Marc Spautz Député
Réponse de Madame la Ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle à la question parlementaire N° 2353 de Monsieur le Député Marc Spautz.
Combien d'enfants sont touchés par cette maladie au Luxembourg?
La difficulté à dénombrer exactement les enfants atteints de troubles d'apprentissage de la lecture est manifestement liée à l'absence d'une définition claire et univoque du terme de " dyslexie ". En effet, au plan mondial, il n'existe pas d'unanimité scientifique sur le phénomène en question. Certains chercheurs vont jusqu'à mettre en doute l'existence même de la dyslexie. En effet, ceux-ci estiment que la dyslexie n'est qu'un symptôme d'un trouble général du langage lié à un défaut structurel dans l'apparition et l'installation d'un ou de plusieurs éléments constitutifs du langage. En effet, le langage en tant que tel est une unité complexe qui s'appuie sur la mobilisation et la combinaison de différentes compétences élémentaires telle l'ouïe, la vision, la parole, la compréhension orale, auxquelles s'ajoutent plus tard la lecture et l'écriture. Il s'ensuit que les enfants atteints d'une dysphasie d'expression ou de réception dès les premiers stades du développement, éprouvent d'énormes difficultés lors de l'acquisition du code écrit. En effet, les troubles spécifiques du développement de la parole et du langage s'accompagnent souvent de problèmes associés tels des difficultés de lecture et d'orthographe, une perturbation des relations interpersonnelles, des troubles émotionnels et des troubles du comportement.
L'Organisation Mondiale de la Santé classe dans la section des troubles du langage oral et/ou écrit les troubles spécifiques du développement des acquisitions scolaires. Ils sont considérés comme " des troubles dans lesquels les modalités habituelles d'apprentissage sont altérées dès les premiers stades du développement. L'altération n'est pas seulement la conséquence d'un manque d'occasion d'apprentissage ou d'un retard mental et elle n'est pas due à un traumatisme cérébral ou à une atteinte cérébrale acquise." Ces troubles comprennent les difficultés associées à l'apprentissage de la lecture, de l'acquisition de l'orthographe, de l'acquisition de l'arithmétique et le trouble mixte des acquisitions scolaires dans lequel il existe à la fois une altération significative du calcul et de la lecture ou de l'orthographe, non imputable exclusivement à un retard mental global ou à une scolarisation inadéquate. Il convient cependant de relever qu'aucun système de classification à l'échelle mondiale n'emploie les termes de "enfant dyslexique" et de "dyslexie". Ils sont abandonnés principalement au profit de "enfant présentant une déficience du langage écrit" et de " trouble spécifique du langage écrit ".
Comme nous ne disposons pas de chiffres exacts quant à l'ampleur du phénomène au Luxembourg faute de données statistiques spécifiques, nous pouvons néanmoins émettre des hypothèses en nous référant à des données prélevées par l'OCDE au niveau mondial, de l'Observatoire National de la Lecture en France et de l'étude PIRLS effectuée au Luxembourg.
L'OCDE, quant à elle, se base sur des comparaisons internationales effectuées sur 21 pays en 1995 qui montrent que la prévalence de ces troubles va de valeurs très faibles de 1 % en Irlande et aux Pays-Bas à des valeurs très élevées, autour de 25 % aux États-Unis et en Finlande, la plupart se situant entre 3 et 5 %.
L'Observatoire National de la Lecture en France estime à 14,9 % le taux de faibles lecteurs, dont cependant uniquement 4 à 5 % peuvent être qualifiés d'élèves en grande difficulté, présentant des erreurs équivalentes dans leur nature à celles des enfants présentant une dyslexie, soit phonologique (difficultés dans les conversions graphophonémiques) ou de surface (difficultés liées à la compréhension des mots).
Au Luxembourg, l'étude PIRLS effectuée en 2006 dans la totalité des classes de la 5e année d'études révèle que 99 % des élèves de la population soumise aux tests atteignent le premier niveau de compétence, ce qui veut dire que la quasi~totalitéde la population évaluée a acquis un niveau minimal acceptable en lecture.
Étant donné que l'étude PIRLS a exclu des tests les élèves fréquentant des classes de l'enseignement spécial et de l'éducation différenciée et comme le pourcentage de ces enfants s'élève à 3,9 %, nous pouvons admettre que le taux d'élèves atteints de troubles d'apprentissage de la lecture s'élève, sur l'exemple des statistiques prélevées à l'échelle mondiale, à 4 à 5 % de la population scolaire totale, soit à 1 élève sur 20.
Existe-t-il des programmes, du personnel ainsi que des locaux spécifiques pour la prise en charge de ces enfants dans nos écoles primaires, comme c'est le cas à l'étranger?
Comment la scolarité de ces enfants est-elle assurée?
Tout d'abord, il faut souligner que les troubles de l'apprentissage du code écrit peuvent être qualifiés de multidimensionnels c'est-à-dire que l'on peut évoquer une multitude de facteurs à l'origine du problème. Ces facteurs peuvent être regroupés en trois catégories: on peut notamment considérer des origines d'ordre physiologique et/ou neurologique (surdité, troubles de la vision, troubles mnésiques, retards développementaux ...), d'ordre psychologique et/ou affectif (manque de stimulation et/ou de motivation, phobies...) et finalement d'ordre didactique et/ou pédagogique (méthodes peu adaptées, méconnaissance des étapes du développement cognitif liées à l'acquisition du code écrit, absence de différenciation pédagogique, climat de classe...).
Dans cet ordre d'idées, il faut insister sur le fait qu'un diagnostic précipité et précoce d'un trouble peut entraîner une attitude négative et déficitaire face aux troubles identifiés, induisant souvent une stigmatisation sociale, scolaire et médicale pour l'enfant, qui selon l'effet Pygmalion bien connu et bien documenté, peut aggraver sa situation. D'autre part, il convient de souligner que ces déficiences, pour être avérées, requièrent une confrontation éprouvée de l'enfant avec la langue orale et écrite.
Dans le respect des différences naturelles liées au développement des compétences du langage, il paraît évident d'éviter de parler de trouble spécifique du langage oral avant 5 ans, et de trouble spécifique du langage écrit avant 8 ans.
Cela dit, il faut reconnaître que nous nous retrouvons devant une problématique extrêmement complexe qui ne peut être résolue ni par un programme spécifique, ni par du seul personnel spécialisé, ni par une exclusion temporaire ou permanente des élèves, mais par la collaboration de tous les acteurs concernés, parents, enseignants, inspecteurs, éducateurs, personnel de l'Éducation différenciée et du Centre de logopédie avec l'objectif de maintenir l'enfant concerné, dans la mesure du possible, dans son groupe d'apprentissage d'origine.
A partir des années 1980, le Ministère de l'Éducation nationale, bien conscient de la problématique et de la souffrance que vivent les enfants concernés et leurs familles, a créé au niveau de l'enseignement primaire une multitude de dispositifs pouvant répondre notamment aux difficultés d'apprentissage de la lecture et de l'écriture parmi lesquels il convient de citer les commissions médico-psychopédagogiques (CMPP) régionales et locales, les Services de Guidance de l'Enfance (y compris les services de même vocation des villes d'Esch/Alzette et de Luxembourg), les groupes du Service rééducatif ambulatoire (SREA), les classes nationales et régionales du Centre de logopédie ainsi que le nouvel abécédaire MILA qui met l'accent sur le développement de la conscience phonologique et la construction de stratégies de lecture et d'écriture. Il va sans dire que le SCRIPT offre à l'intention du personnel enseignant et éducatif chaque année plus qu'une vingtaine de cours spécialisés de formation continue dans le domaine des troubles de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. En ce qui concerne la formation initiale des enseignants du préscolaire et du primaire, le Ministère a précisé dans le document " Les orientations pour la formation des instituteurs et institutrices" qu'il attend des futurs fonctionnaires des compétences solides dans les domaines de l'enseignement spécialisé et de la différenciation des apprentissages et dans les domaines du dépistage et de la prise en charge d'éventuels besoins éducatifs spécifiques.
Sur le terrain se sont constitués plus récemment, sur initiative de plusieurs acteurs du domaine de l'Éducation nationale, des structures de support et des projets spécifiques, parmi lesquels il convient de mentionner le projet pilote conjoint des villes de Differdange et de Pétange "dyslexie-dysphasie ", le projet-pilote de la Ville de Luxembourg réalisé avec l'appui du SCRIPT " consultation des enseignants en cas d'échec scolaire ", les ateliers de lecture et d'écriture organisés par le SREA ainsi que la " Legasthenie-Therapie " au CPOS.
Bien entendu, une prise en charge équitable et cohérente des enfants atteints de troubles d'apprentissage de la lecture et de l'écriture ne peut être assurée au niveau national que par une harmonisation des différentes approches et structures ainsi qu'à travers la collaboration de tous les acteurs concernés.
Actuellement, un groupe de travail du Ministère de l'Éducation nationale et de la Formation professionnelle est en train d'élaborer un tel concept, qui se base sur les expériences prometteuses réalisées sur le terrain et sur les nouvelles dispositions prévues par le projet de loi portant organisation de l'enseignement fondamental.
Ce concept comprendra notamment les phases suivantes:
la détection des troubles d'apprentissage par le titulaire de classe et/ou l'équipe pédagogique;
l'entretien avec les parents de l'élève;
le diagnostic (anamnèse, diagnostic cognitif et affectif, diagnostic pédagogique, ...) établi sur initiative de la CMPP régionale ou locale;
l'élaboration d'un plan de prise en charge engageant la responsabilité des différents acteurs et dont la mise en ?uvre sera coordonnée par une personne de référence désignée pour chaque enfant bénéficiant d'un suivi particulier;
la prise en charge rééducative par une équipe multiprofessionnelle regroupant des enseignants spécialisés ainsi que les experts des différents services de l'Éducation nationale ;
les conseils pédagogiques pour les parents et les titulaires de classe;
l'orientation éventuelle vers d'autres services.
Au niveau des programmes, l'implantation de l'approche par compétences dans les différents ordres d'enseignement peut constituer une avancée majeure dans la prise en charge des troubles d'apprentissage liés à l'acquisition du code écrit. En effet, dans une approche basée sur le développement de compétences, on admet que le langage se compose d'au moins quatre domaines de compétences majeurs, à savoir la compréhension orale et écrits -ainsi que l'expression orale et écrite: On admet également que le développement de ces quatre compétences ne se produit pas de façon parallèle et qu'il se poursuit pendant toute la durée scolaire (et bien au-delà !). Les enfants disposent donc d'une certaine marge de man?uvre en ce qui concerne le développement de leur langage et, à des moments donnés, ils peuvent compenser des déficits constatés dans un domaine par des forces dans un autre, à condition d'y revenir par après pour accéder à un niveau de formation qui correspond à leur capacités. De plus, une approche par compétence ne se base pas sur des évaluations ponctuelles sans aucun impact sur les méthodes d'enseignement. Bien au contraire: l'évaluation est continue et permanente et devrait permettre d'identifier les difficultés d'apprentissage dès qu'elles apparaissent et d'y réagir rapidement en offrant à l'enfant l'aide dont il a besoin pour progresser.
Mady Delvaux-Stehres
Ministre de l'Éducation nationale et de la Formation professionnelle