Débat sur l'intégration : Mener la réflexion au-delà du pour et du contre

10.11.2003

L'intégration d'enfants à besoins particuliers a fait couler pas mal d'encre ces derniers temps et la direction syndicale du SEW/OGBwL tient à souligner qu' il faudrait dépassionner le débat, afin de pouvoir approfondir la réflexion sur un sujet très délicat qui mérite mieux qu'un simple pour ou contre.

En parlant d'enfants à besoins particuliers ou spécifiques, on pourrait tout d'abord évidemment y inclure tous les enfants qui sont tous des individus singuliers avec leurs besoins particuliers.
S'il est vrai que l'école a longtemps refusé de prendre en compte ces besoins particuliers pour imposer un apprentissage en commun, selon une méthode unique, au même rythme pour tous, il faut dire aussi que les temps ont changé et qu'on demande aujourd'hui aux enseignants de respecter les individualités des enfants et de répondre le plus possible à leurs besoins particuliers.
Ceci dit, notre société n'a jusqu'à présent pas estimé qu'il faut individualiser complètement l'enseignement en fixant des objectifs et des parcours individuels à chaque enfant. L'école a pour mission de scolariser nos jeunes ensemble, le plus souvent en classes d'âge et elle a pour but, non seulement de les mener vers des diplômes reconnus par la société, mais encore de leur apprendre à vivre ensemble.
Dans cette tension entre individualisation et collectivisation des apprentissages résident les défis auxquels les enseignants ont à répondre par l'organisation de la classe, les relations qu'ils établissent avec les élèves, celles qui se mettent en place entre ceux-ci et la présentation des programmes scolaires.
Il faut dire que l'école luxembourgeoise ne s'est pas encore donné les moyens pour répondre efficacement aux besoins de tous ses élèves.
Depuis une trentaine d'années déjà, elle tarde à intégrer des milliers d'enfants à besoins linguistiques particuliers, mettant à disposition des enseignant(e)s non seulement un modèle inadapté d'apprentissage de l'allemand et du français, mais encore un cadre de personnel ridiculement sous-dimensionné, compte tenu de la tâche à affronter.
L'étude PISA a révélé les résultats médiocres de notre système scolaire et elle a montré qu'il tend à renforcer les inégalités au dépens des enfants issus de familles socialement défavorisées et/ou ne parlant pas le luxembourgeois à domicile, démentant ainsi les belles paroles sur le multilinguisme et l'esprit fédérateur de l'enseignement public luxembourgeois que nos responsables politiques se sont plu à proférer à qui voulait l'entendre.
Le SEW/OGBwL compte parmi ceux qui plaident pour une individualisation plus poussée de l'enseignement et nous percevons l'intégration d'enfants mentalement ou physiquement handicapés comme un corollaire de cette individualisation. En principe, une bonne école doit pouvoir gérer les hétérogénéités entre les élèves et même savoir en tirer profit pour enrichir les apprentissages de tous. Néanmoins faut-il voir au cas par cas si les besoins particuliers de certains enfants permettent une intégration profitable pour tout le monde et définir pour chaque ordre d'enseignement, préscolaire, primaire ou secondaire, quels sont les objectifs à atteindre. Pour les enfants qui ne peuvent atteindre ceux fixés par les programmes scolaires, il faut établir des objectifs particuliers et analyser quelle structure scolaire leur permet le mieux de les atteindre. Il faut aussi voir que certains enfants ont du mal à s'adapter aux régulations des interactions qui s'imposent pour des apprentissages en commun.
L'Education différenciée créée pour pouvoir répondre à des besoins très particuliers de certains élèves doit pouvoir jouer son rôle à l'intérieur de nos écoles. Il serait faux de croire que nous n'avons pas besoin des compétences et de l'expérience professionnelle de ce personnel pour intégrer des enfants à besoins particuliers. L'interaction entre les enseignants, les éducateurs gradués et les intervenants spécialisés dans les domaines des différents handicaps est indispensable à une intégration réussie. Et n'oublions pas que toutes ces questions concernent également les activités péri et parascolaires.
Ceci dit, nous constatons que face à l'actuelle loi sur l'intégration, qui laisse le libre choix aux parents concernés et qui permet aux responsables politiques de se présenter en champions de l'intégration, l'enseignant(e) à qui on demande d'intégrer dans sa classe un enfant à besoins particuliers se trouve une nouvelle fois confronté(e) à un manque évident de moyens. L'aide qu'on lui accorde réside dans l'intervention d'un professionnel du SREA pendant un nombre d'heures limité; pour le reste du temps l'enseignant(e) est appelé(e) à se débrouiller avec les moyens du bord.

Or, la gestion d'une classe avec une douzaine, une vingtaine et davantage d'élèves n'est pas une chose allant de soi et l'enseignant(e) doit avoir la possibilité de signaler des situations qui ne lui semblent pas gérables. Il ne s'agit nullement d'un droit de pouvoir choisir ses élèves, mais d'une objection devant une mission impossible.
Ceux qui s'intéressent à la question de l'intégration connaissent presque tous à la fois des situations d'intégration réussies, où des enfants à besoins particuliers se sont parfaitement intégrés au groupe classe et où les apprentissages de tous en ont profité, et d'autre part des situations où la classe est devenue ingérable et les apprentissages impossibles pour tout le monde. Entre ces deux situations extrêmes, il existe toute une panoplie de situations plus ou moins bien vécues par les enfants et les enseignants.
Pour le SEW/OGBwL il est clair que les parents doivent être pris au sérieux quand ils ont un projet d'éducation pour leur enfant, mais il estime que les enseignants ont le droit et même le devoir de signaler quand la gestion efficace des apprentissages devient impossible. Dans bien des cas, le titulaire d'une classe ne peut compter que sur lui-même pour gérer les moments difficiles et pour répondre aux besoins de tous ses élèves. Ses arguments doivent être pris en compte et l'intégration d'un enfant à besoins particuliers doit baser sur un plan d'intégration négocié avec toutes les parties concernées.

Pour garantir cela, il faut que tous les professionnels en relation avec l'enfant, mais également les services administratifs assument leurs responsabilités. L'inscription d'un enfant à besoins particuliers dans une classe à quelques jours de la rentrée sans discussion du projet éducatif à assurer n'est pas dans l'intérêt de l'enfant et n'est pas de nature à inspirer beaucoup de confiance dans le fonctionnement de l'école luxembourgeoise.

SEW/OGB-L
Luxembourg, le 10 novembre 2003