La qualité dans l'éducation
Les 10 et 11 novembre 1999, le comité syndical européen de l'éducation, - organisation dont fait partie le SEW - a organisé au Centre Jean Monnet une Table ronde sur l'évaluation de la qualité de l'éducation. Faisant suite à une conférence sur le même sujet en novembre 1998 à Luxembourg, cette Table ronde entendait élargir et approfondir la réflexion et contribuer à la discussion sur les indicateurs de qualité dans les systèmes d'éducation.
Un sujet très controversé et actuel - l'état de la discussion
Depuis le début des années 1990, les questions relatives à la qualité de l'éducation représentent une partie importante du programme de l'éducation et de la formation de l'Union européenne. Le concept de «qualité» suscite différents commentaires auprès des enseignant(e)s et leurs organisations. De nombreux syndicats ont agi pour assurer que les concepts de l'éducation et de l'évaluation de qualité soient utilisés de manière à contribuer au développement des écoles et non contre les enseignant(e)s. Au niveau européen, le CSEE a pris plusieurs initiatives dans ce domaine. Une des premières a été l'organisation d'un colloque sur la qualité de l'enseignement supérieur, à Bruges en 1995. Depuis lors, un groupe de travail, actif dans le cadre du CSEE, s'est concentré sur des questions relatives à la qualité de l'éducation. Suite aux recherches effectuées par ce groupe, un colloque ayant pour thème la qualité de l'éducation a été organisé à Rome en mars 1996. Dans le courant de l'année 1998, le groupe de travail s'est constitué en un comité consultatif pour la qualité, dont la principale mission consistait à suivre l'évolution du Projet pilote de I'UE pour l'évaluation de la qualité de l'éducation
Ce projet pilote avait été lancé au début de l'année scolaire 1997 avec l'approbation et le soutien du Conseil des ministres de l'Education. Cent une écoles secondaires de 18 pays ont été concernées par le projet. Le projet avait pour objectif de répondre aux trois questions suivantes:
· Quelles sont les caractéristiques d'une bonne école ?
· Comment déterminer ces caractéristiques ?
· Comment exploiter les réponses obtenues ?
Le projet comportait également l'organisation d'une conférence de clôture à Vienne en novembre 1998 réunissant les écoles ayant participé au projet, les experts impliqués dans le projet et diverses parties concernées.
Un rapport final de la Commission de l'UE a été publié en juin 1999, qui concluait: «L'évaluation est devenue plus importante dans la plupart des pays concernés au cours des années 1990. La discussion politique dans de nombreux pays est centrée sur 1'équilibre entre l'évaluation orientée sur la responsabilité externe, et 1'(auto) évaluation interne axée sur le développement de l'école. Parmi toutes les stratégies utilisées par les pays en faveur de la qualité de l'éducation scolaire, le projet pilote européen a été une source d'inspiration et a servi comme forum pour l'échange d'informations et d'expériences. Le projet a contribué à la défense de l'évaluation, et a souvent donné de l'élan aux projets nationaux dans le même domaine et a offert un support concret pour le travail à l'école »
Lors des travaux préparatoires à la Table ronde organisée par le CSEE à Luxembourg en 1998, un questionnaire sur l'évaluation de la qualité dans le système éducatif avait été envoyé aux organisations membres du CSEE. Le rapport basé sur les réponses au questionnaire indique que la question de l'évaluation semble être à l'ordre du jour dans tous les pays membres de l'UE et de l'AELE. Les réponses au questionnaire ont soulevé plusieurs sujets intéressants et importants, notamment:
• Quels niveaux faut-il évaluer?
• Qui doit faire l'évaluation?
• Que faut-il évaluer?
• Quelles méthodes sont à utiliser?
• Quel doit être le rôle des syndicats?
Les réponses au questionnaire ont permis de tirer certaines conclusions:
· Il est nécessaire de poursuivre la politique de développement dans ce domaine.
De nombreux aspects relatifs à l'évaluation vont bien au-delà des détails techniques. Les réponses au questionnaire font apparaître plusieurs sujets qui ont également un rapport avec l'évaluation dans différents secteurs du système éducatif. Plusieurs thèmes nécessitent manifestement une discussion politique.
· L'évaluation de l'école est un sujet sensible. Etant donné l'évolution actuelle, plusieurs risques sont liés au problème de l'évaluation. L'un des risques majeurs est que l'évaluation ne soit trop centrée sur des niveaux scolaires facilement mesurables, sans prise en compte de la complexité de la réalité dans les écoles. D'autre part, il y a également le risque que les enseignant(e)s, ainsi que les élèves et les parents, ne soient pas impliqués dans la procédure d'évaluation et qu'ils ne soient que les objets de cette procédure. Il est nécessaire de trouver et de promouvoir des alternatives aux méthodes d'évaluation qui permettraient la prise en compte de la complexité de l'environnement scolaire et donneraient aux enseignant(e)s la possibilité d'être impliqués dans la procédure.
Après le projet pilote, un nouveau projet de l'UE sur la qualité de l'éducation
La DG "Education et culture" de la Commission européenne entend à présent mesurer la qualité de l'éducation à l'aide de 16 indicateurs, qui viennent d'être proposés au Conseil des ministres le 26 novembre 1999. Ces indicateurs sont groupés en quatre domaines:
- résultats atteints (maths, lecture, sciences, langues étrangères, apprendre à apprendre, technologies d'information et de communication, instruction civique);
- succès et passages ( taux d'échec, taux d'achèvement du cycle supérieur de l'enseignement secondaire, taux de participation à l'enseignement supérieur);
- monitoring de l'éducation scolaire (participation des parents, évaluation et orientation);
- ressources et structures (dépenses par élève, formation initiale et continue des enseignant(e)s, taux de participation dans l'éducation préscolaire, nombre d'élèves par ordinateur).
Il est évident que la définition et l'utilisation de tels indicateurs suscitent de nombreuses questions et incertitudes, comme le montrent les études sur différents types d'indicateurs relatifs à l'éducation réalisées par l'OCDE, l'IEA ou EURYDICE. Aussi dès avant la Table ronde, le CSEE avait saisi l'occasion de faire des propositions, dont les suivantes:
· Les indicateurs doivent montrer le rapport entre les résultats et les niveaux obtenus par le système éducatif et les ressources dont celui-ci dispose.
· Les indicateurs doivent permettre aux écoles, aux enseignant(e)s et autres responsables de l'éducation de trouver eux-mêmes des moyens et des méthodes pour améliorer la qualité.
· Il faut développer des indicateurs fournissant un tableau complet de la qualité de l'éducation dans toute sa complexité.
· Il faut développer des indicateurs pouvant facilement s'insérer dans le "travail normal" des enseignant(e)s sans augmenter leur charge de travail habituelle.
· Il faut trouver des indicateurs susceptibles de promouvoir de nouvelles méthodes d'évaluation dont l'approche soit interne, formatrice et qualitative.
Déjà le titre de l'exposé du professeur Tjeerd Plomp, de l'Université de Twente (anc. président de l'IEA):
Mesures quantitatives de qualité dans les systèmes d'éducation
était suggestif à cet égard. Trois niveaux interdépendants et interactifs sont à distinguer lors de l'évaluation:
- ce que la communauté valorise comme étant nécessaire d'apprendre;
- ce que les enseignant(e)s enseignent, et par quelles méthodes (le curriculum appliqué);
- ce que les élèves apprennent effectivement (les résultats atteints.
Le champ de l'évaluation est donc extrêmement vaste et il faut au départ savoir ce qu'on veut comparer.
Les résultats n'ont une valeur que lorsqu'ils sont interprétés dans leur contexte (origine sociale des élèves, méthodes d'enseignement, ressources du système scolaire).
Quatre conditions s'imposent dans le raisonnement:
- le caractère régional (rien ne sert de comparer le Japon ou les USA à l'Europe);
- le caractère de trend (c'est l'évolution qui importe; il faut 3 années d'observation au minimum);
- le recours à des bases de variables fondamentales;
- une bonne préparation.
La façon d'aborder l'utilisation d'indicateurs de qualité
fut ensuite abordée par Mme Lesley Saunders, de la National Fondation for Educational Research (qui inclut les syndicats d'enseignant(e)s britanniques). Voici les questions qu'elle a soulevées:
- Que mesurer ? Comment mesurer ? Avec quels indicateurs mesurer ?
- Faut-il mesurer d'en bas ou d'en haut ? (question de l'évaluation interne ou externe)
- Qui et quoi est le "self" dans l'autoévaluation ?
Pour Mme Saunders, le choix des méthodes et des données pour l'évaluation est une question de pouvoir (pourquoi choisir tel indicateur ? comment les indicateurs choisis sont-ils perçus ? est-ce que les indicateurs mesurent ce qui est important ?). D'après son expérience dans le système britannique,
- la signification des données fournies par un indicateur est socialement construite (les enseignant(e)s doivent s'en rendre maîtres !);
- l'utilisation des indicateurs dans l'établissement scolaire dépend du style de direction;
- l'autoévaluation est une condition indispensable pour améliorer la qualité de l'enseignement; elle ne fonctionne pourtant que si les participant(e)s sont assuré(e)s que ses résultats ne sont utilisés contre eux/elles.
Après les exposés, les travaux de la Table ronde se sont poursuivis en
Groupes de travail
Voici les principaux résultats de leurs réflexions:
GT "Utilisation des données quantitatives"
L'usage que les directions, les pouvoirs publics et la presse feront des résultats de l'évaluation est difficile à contrôler. Or, si en tant qu'enseignant(e)s on est évidemment intéressé(e) à obtenir des données sur la qualité de l'enseignement, il faut veiller à ce que ces données soient objectives et qu'elles servent effectivement à améliorer la qualité de l'enseignement et refuser leur usage à des fins comptables (l'argent est-il dépensé de manière efficiente ?) ou politiques (introduction du marché dans l'éducation par la mise en concurrence des écoles). Les résultats d'une autoévaluation doivent rester la propriété des participants.
GT "Qualité contre Egalité"
Il n'existe pas de définition de la qualité et les données qualitatives qui expliquent une meilleure performance scolaire sont difficiles à repérer. Dans la réalité, les enseignant(e)s sont la plupart du temps exclu(e)s de la discussion sur la définition et les méthodes de mesure de la qualité.
Comment par exemple l'UE est-elle parvenue aux 16 indicateurs ? Pourquoi ceux-là précisément ?
Les valeurs et les styles d'apprentissage véhiculés dans les programmes et à l'école sont ceux des classes sociales moyenne et supérieure. Va-t-on chercher à satisfaire les besoins qui procèdent de ces idées dominantes ou ceux des élèves ?
Les élèves provenant des familles nanties tirent profit de l'individualisation du système scolaire et de la dérégulation, contrairement aux élèves des couches sociales inférieures, qui ont besoin d'un système performant dans son ensemble.
GT "Les perspectives du CSEE en matière d'indicateurs de qualité"
Les enseignant(e)s doivent s'approprier l'ensemble de l'évaluation de la qualité et bloquer les dérives. Les conditions matérielles et sociales de l'enseignement et des élèves sont à incorporer dans toute évaluation; une charte ou protocole préalable doit précéder toute autoévaluation.
Si le CSEE ne doit pas se laisser enfermer dans des discussions sur l'évaluation interne ou la recherche d'indicateurs, il faut quand-même qu'il revendique une participation active à leur définition. Les 16 indicateurs de l'UE - établis sans le concours des enseignant(e)s et de leurs organisations syndicales - font notamment abstraction du domaine de l'Histoire, et ils n'intègrent pas la problématique du stress et de la violence à l'école.
Il faut aussi faire la part de ce que les écoles peuvent corriger et éviter absolument le débat "bonne ou mauvaise école ? / bon(ne) ou mauvais(e) enseignant(e) ?
La qualité de l'éducation: le rôle du CSEE et de ses organisations
Dans sa conclusion, Christoph Heise, vice président du CSEE, insista sur l'influence que le CSEE et ses organisations membres devraient exercer sur les indicateurs:
- clarifier les intérêts des différents partenaires engagés et les buts de l'évaluation;
- définir clairement les positions syndicales en matière d'évaluation de la qualité, ainsi que les indicateurs qui en découlent: égalité, solidarité, responsabilité, ouverture d'esprit;
- brosser le tableau complet d'un enseignement de qualité et influencer ainsi la discussion sur les 16 indicateurs européens du point de vue syndical;
- se présenter comme partenaires fiables à tous les niveaux de la discussion et demander en contrepartie les garanties et les moyens nécessaires.
Premières conclusions pour la politique syndicale au Luxembourg
L'évaluation de la qualité de l'éducation ne commence qu'à être discutée au Luxembourg.
En principe, il n'y a rien à en redire: qui en effet serait contre une amélioration de la qualité de l'enseignement qui procéderait forcément d'une telle évaluation ? Plus difficile en revanche de définir cette qualité ainsi que les méthodes d'évaluation de cette qualité, et de solutionner les problèmes qui se présentent. Dans un climat de politique budgétaire restrictive, on remarque que des mondes séparent l'enseignant(e), ses élèves et leurs parents d'une part, et les responsables politiques d'autre part. On découvre soudain que derrière l'idée apparemment simple et généreuse de la qualité de l'enseignement se cachent souvent les protagonistes de la logique libérale et du "marché de l'éducation" et qu'ils se confondent avec ceux qui propagent l'idée de l'autonomie scolaire.
Pour mettre les choses bien au clair. sans refuser net une évaluation de la qualité de l'enseignement et une certaine autonomie scolaire, il faut être conscient que ces deux options sont celles de tous les dangers non seulement pour les enseignant(e)s, mais aussi pour leurs élèves. Gardons bien en vue le système scolaire à l'anglaise ou à l'américaine, qui sont les produits lamentables de l'idéologie libérale.
L'évaluation de la qualité de l'enseignement devra servir les élèves et non pas constituer un instrument pour différencier les traitements des enseignant(e)s, pour mettre en concurrence les écoles et pour transformer progressivement le système scolaire européen en un marché de l'éducation privatisé.
Les données sur la qualité de l'enseignement devront
- résulter d'indicateurs objectifs et comparables, choisis et mis en place en concertation avec les syndicats d'enseignant(e)s;
- rester strictement internes et ne pas être divulguées à l'extérieur de l'établissement scolaire auquel elles se rapportent (les enseignant(e)s et les chercheurs seront propriétaires de ces données !);
- ne pas servir à établir un classement entre des établissements scolaires.
L'autoévaluation d'un établissement scolaire, procédant e.a. de l'analyse de ces données devra se faire dans le cadre d'un contrat de confiance entre le Ministère de l'Education nationale et l'école en question.
Un tel contrat de confiance impliquerait notamment la mise à disposition des moyens financiers nécessaires pour résoudre les problèmes pédagogiques et organisationnels qui se dégageraient de l'analyse.
Les difficultés auxquelles l'enseignement est confronté actuellement résultent en grande partie de la dégradation de la situation économique, du chômage et des programmes d'austérité infligés aux finances publiques en général et à l'éducation nationale en particulier.
Une augmentation de la qualité de l'enseignement ne saura être obtenue sans forte augmentation des budgets de l'éducation tant au niveau national qu'européen. Voilà une décision politique concrète que les enseignant(e)s attendent avant toute chose de la part de leur gouvernement !
Guy Foetz