colloque OGB-L: Investir dans une politique d'éducation et de formation offensive! - Assurer la qualité et l'équité de l'enseignement au Luxembourg ! Intervention de Guy Foetz

Assurer la qualité et l'équité de l'enseignement au Luxembourg !
(Colloque OGB-L du 22-05-08)
Les résultats concordants des deux études PIRLS et PISA pointent dans la même direction: l'enseignement luxembourgeois ne parvient pas à niveler les différences socio-économiques, mais les reproduit.
Le phénomène n'est pas nouveau; l'étude MAGRIP (MATière Grise Perdue), menée dans les années 1970, tout comme les deux études PISA précédentes ont abouti à des résultats comparables.
Un tel constat négatif appelle d'un côté un certain nombre de remarques restrictives quant à l'interprétation des résultats et de l'autre des revendications pour refaire de l'école un ascenseur social pour l'ensemble de la population et dans l'intérêt de l'économie.
Quelques remarques restrictives d'abord ...
- Il convient de ne pas surestimer le classement réalisé par PISA.
Comme Fred van Leeuwen, le Secrétaire général de l'Internationale de Education l'a dit très justement, ( « PISA ne peut offrir qu'un instantané de la manière dont un groupe d'élèves d'une quinzaine d'années répondent à un ensemble de questions. Il ne donne pas, et ne peut pas donner, une image complète et nuancée de l'éducation dans aucun pays ».
Il a exhorté les parents et les décideurs à lire de tels rapports d'un œil sceptique. ( « Les complexités de l'éducation ne peuvent être réduites à des scores sportifs, dans lesquels certains enfants sont décrits comme des gagnants et d'autres comme des perdants » ).
Et il a ajouté qu'il est ( « préoccupant de voir les gouvernements nationaux mettre en œuvre des réformes de l'éducation avec l'objectif déclaré de se classer plus haut dans PISA. De tels objectifs superficiels sont profondément menaçants pour la qualité de l'éducation et l'accès à l'éducation pour tous. ».
Dans cet ordre d'idées, on peut se demander si la proposition un peu rapide de Madame la ministre de l'Education nationale consistant à introduire l'enseignement de la physique et de la chimie dès la classe de 7e0 - avec l'espoir d'obtenir de meilleurs résultats dans le prochain test -est opportune. Il est clair en effet que cela se fait au détriment du temps dévolu à d'autres branches, i.e. le Français et l'Education artistique.
Nous référant aux résultats obtenus par le Luxembourg, il faut aussi évoquer les distorsions que les statisticiens constatent immanquablement lorsqu'il s'agit de comparer un petit pays à des pays de moyenne ou de grande envergure.
Pour produire des constats réellement significatifs, je pense il faudrait plutôt comparer le Luxembourg au Reste de la Grande Région. - En matière linguistique, le Luxembourg se trouve dans une situation exceptionnelle: bien qu'une grande partie des enfants du primaire provienne de familles d'immigrés romanophones, qui rencontrent des problèmes avec l'apprentissage de l'allemand, il est pourtant exclu d'organiser une filière francophone dès la première année d'études, sous peine de négliger l'élément intégrateur constitué par l'école. Il faut donc vivre avec cette contradiction et l'aménager au mieux. Un test comme PISA ne peut tenir compte de cette situation exceptionnelle.
- Les protagonistes OCDE/PISA ont tendance à vendre les réformes qu'ils proposent (l'enseignement par compétences, l'autonomie des établissements scolaires et la concurrence entre les écoles) comme des remèdes miracles contre des maux dont l'origine est avant tout socio-économique. Il ne s'agit pas pour nous de rejeter ici l'enseignement par compétences ou l'autonomie des établissements, mais d'insister que cela n'augmentera pas nécessairement les chances des « élèves défavorisés », bien au contraire.
- Une mise en garde quant à l'interprétation des constats sociologiques des études PIRLS et PISA s'impose : corrélation n'est pas synonyme avec relation causale: un élève ne se trouve pas dans une classe du régime préparatoire, parce que ses parents sont des immigrés romanophones qui ne parlent pas le luxembourgeois, qui exercent un métier manuel et qui ne lisent pas suffisamment. Etablir une telle relation causale reviendrait non seulement à culpabiliser injustement les parents, mais aussi à promouvoir le déterminisme social et à procurer une excuse à l'inaction éventuelle des responsables politiques.
des revendications ensuite
Une bonne formation scolaire est de nos jours essentielle, tant pour l'individu que pour la société.
L'inégalité des chances n'a pas seulement des conséquences individuelles graves, mais elle mine l'avenir économique et social dans son ensemble.
Il est dès lors insoutenable qu'une partie importante de la population scolaire, qu'elle soit luxembourgeoise ou immigrée, se trouve en situation d'échec ou soit orientée vers des formations de pacotille.
Les revendications essentielles qui résultent d'un tel constat et auxquelles j'en viendrai dans quelques instants sont à mettre en relation avec deux phénomènes importants, qui ont progressivement changé la donne depuis une trentaine d'années.
- Il y a d'une part le phénomène migratoire: il colle à l'histoire du Luxembourg comme une seconde peau.
N'est-ce pas des cadres belges, français et allemands ainsi que des ouvriers italiens qui ont contribué substantiellement à l'essor de la sidérurgie luxembourgeoise ?
N'est-ce pas le secteur de la construction qui dépend de la force de travail des ouvriers portugais depuis les années 1970 ?
Or, traditionnellement, les responsables politiques luxembourgeois ne s'intéressaient guère à la formation des immigrés.
Soit ceux-ci étaient des travailleurs migrants sans famille, soit ils étaient formés dans leur pays, soit ils n'avaient pas besoin de formation professionnelle et ils étaient formés sur le tas, au contact du métier.
Ce qui fait que les responsables politiques luxembourgeois sont restés passablement inactifs pendant trois décennies face aux difficultés que les enfants de ces immigrés rencontraient dans notre système scolaire.
Ce n'est que vers la fin des années 1990 que face à la nécessité de mieux former un maximum de personnes, qu'une prise de conscience a eu lieu et que des mesures plus conséquentes ont été décidées, notamment à travers l'introduction d'un enseignement précoce.
Il s'agissait de donner une base dans la langue luxembourgeoise aux enfants d'immigrés afin qu'ils puissent commencer l'étude de l'allemand sous de meilleures conditions à l'école primaire.
Il faut dire néanmoins que cette idée trouve ses limites dans le nombre important de primo-arrivants d'une part et le fait que l'enseignement précoce n'est pas offert en journée continue partout.
Ainsi, suivant l'étude PIRLS, 12,5 % des enfants n'ont pas fréquenté le préscolaire et 18 % des élèves étaient unilingues et ne savaient parler ni le luxembourgeois, ni l'allemand1] - Il y a d'autre part les changements sociaux profonds que constituent
- la réorganisation de la division du travail à l'intérieur des familles, voire la dislocation de celles-ci ;
- l'impact sans limites des médias et de l'informatique sur les enfants et les jeunes
- et l'avènement de la société de consommation,
qui ont conduit à l'abandon de nombreux enfants à eux-mêmes et à la mise en question de l'école comme institution de référence et comme lieu de travail2].
De nombreux enfants sont aujourd'hui incapables de se concentrer et d'apprendre suivant les méthodes traditionnelles.
Face à ces défis, les mesures prises n'ont nullement été à la hauteur, la méthodologie reste traditionnelle, les écoles avec une structure d'accueil et des cours et activités prolongés restent l'exception et le recours massif à du personnel d'appoint à tous les niveaux du système éducatif est monnaie courante.
Sans être spectaculaires les revendications du SEW/OGB-L visent le long terme; nombre d'entre elles rejoignent celles de la Conférence éducation et formation de l'OGB-L d'octobre 1998 :
- Il est primordial d'encourager les enfants dès leur plus jeune âge et de les aider à maîtriser les difficultés qu'ils rencontrent.
Cela implique l'emploi de personnel éducatif qualifié notamment dans l'enseignement précoce.
Il s'agit de communiquer aux enfants un vocabulaire riche et de les stimuler au mieux.
- Il faut pousser l'enseignement différencié et aider les enfants en difficulté dès les premières années de l'école primaire. Ce sont les premières années qui sont essentielles pour le développement scolaire.
- L'implication des parents dans l'éducation scolaire de leurs enfants est à encourager, notamment en leur permettant de faire des apports concrets.
- L'apprentissage du luxembourgeois par les parents doit être encouragé, notamment en l'incluant dans le temps de travail. (Ceci constitue une revendication de longue date de notre syndicat et nous approuvons donc fortement le projet de loi, déposé récemment par le gouvernement, qui introduit un congé spécial de 200 heures destiné aux salariés de toutes nationalités travaillant depuis 6 mois, pour apprendre le luxembourgeois.)
- Il faut engager suffisamment de personnel enseignant dûment qualifié à la fois dans l'enseignement primaire et postprimaire et offrir une formation aux chargés de cours en place.
- Dans le cycle inférieur de l'enseignement postprimaire, des équipes de base par classe sont à créer,
- qui se concertent régulièrement,
- qui prennent en charge, ensemble avec le SPOS, une orientation plus conséquente des élèves
- et qui coopèrent avec les écoles primaires en vue d'un meilleur passage primaire -postprimaire.
- Dans tous les ordres d'enseignement, il faut pousser les méthodes actives d'enseignement et d'apprentissage favorisant l'autonomie et la responsabilité des enfants et des jeunes.
- Dans tous les ordres d'enseignement, il faut aussi promouvoir l'évaluation formative systématique, doublée d'une remédiation conséquente.
- Cette promotion des méthodes actives et de l'évaluation formative systématique implique
- d'un côté que les effectifs de classe élevés actuels de l'enseignement postprimaire (ES surtout !) doivent être réduits
- et de l'autre côté que les programmes doivent être allégés (problème de temps !) en direction d'une maîtrise des savoirs et des savoir-faire essentiels.
- Dans les deux ordres d'enseignement, y compris l'enseignement précoce, une offre de journée prolongée avec des activités péri- et parascolaires, assurées par un personnel éducatif qualifié est à mettre en place dans l'ensemble du pays il faut recruter à cet effet le personnel éducatif qualifié nécessaire.
- Nous pensons finalement que le débat autour d'un tronc commun pour tous les élèves jusqu'à l'âge de la scolarité obligatoire (15-16 ans) doit être relancé.
Deux indices significatifs plaident dans cette direction :
- d'une part les excellents résultats de l'étude PIRLS dans les classes hétérogènes de l'enseignement primaire
- d'autre part les fort bons résultats dans le test PISA obtenus par les élèves des classes PROCI.
[Il convient néanmoins de relativer la valeur de ce deuxième indice en raison des résultats mitigés lors de l'évaluation quantitative du projet PROCI 3]
Il nous semble que la stimulation réciproque des différents membres d'une classe hétérogène constitue un élément positif fondamental, qu'il faut mettre en valeur à travers une bonne préparation pédagogique des enseignants aux méthodes ou techniques de différenciation interne.
Il va sans dire aussi que la réduction des effectifs de classe dans l'enseignement postprimaire est une condition préalable à application d'un enseignement différencié valable.
S'il est vrai que des écarts de performance énormes séparent actuellement les élèves du régime préparatoire de ceux de l'enseignement secondaire (l'étude PISA l'a mis en évidence) et qu'il semble exclu pour le moment d'envisager une classe commune avec ces deux types d'élèves, cela n'implique pas qu'il faut persévérer à l'infini dans la voie actuelle du classement des élèves dans différents « tiroirs », laissant les faibles sur le bord de la route et poursuivant le programme avec ceux qui savent se débrouiller, notamment parce qu'ils bénéficient du soutien de leur environnement familial.
Face aux défis de la société de la connaissance, nous pensons au contraire que le moment est venu de viser une réelle égalité des chances par l'intermédiaire d'une nouvelle qualité de l'enseignement.
C'est à la fois une question de volonté des responsables politiques, de moyens mis à la disposition des écoles et d'engagement des enseignants.
Guy Foetz
Vice-président du SEW-OGBL
Professeur au Lycée technique Nic.-Biever
1 Ibidem (1), p.201.
2 Voir à ce sujet le livre intéressant de Philippe Mérieux: Pédagogie: le devoir de résister, ESF éditeur, 2007.
3 D'un côté, dans les épreuves communes, les élèves PROCI avaient obtenu de bien meilleurs résultats en Mathématiques que les élèves non-PROCI; ceci semble se confirmer au niveau des épreuves PISA.
De l'autre côté
- le projet avait augmenté le nombre des élèves quittant prématurément l'école
- contrairement aux attentes des protagonistes du projet, PROCI a été moins favorable aux élèves faibles
- moins d'élèves ont été orientés vers la 10e technique et plus d'élèves vers la 10e technicien, voire la 10e professionnelle
- le nombre d'élèves qui ont redoublé la 9e pour passer à une classe de 10e de leur choix (d'un niveau de formation supérieur) était encore plus élevé dans les classes PROCI que dans les classes non-PROCI.
Voir à ce sujet l'article «Évaluation du projet pilote cycle inférieur - Des résultats mitigés qu'il faudra analyser davantage », paru dans le SEW-Journal no 3-2007.