Après l'étude PISA - quelques pistes
La publication des résultats de l'étude PISA a donné lieu au cours des dernières semaines à des prises de position très diverses, chacun-e interprétant les données à sa façon et voyant ses vues confirmées. Rien d'étonnant donc que les différents auteurs arrivent à des conclusions fort divergentes, les un-e-s y percevant le résultat des réformes " modernistes " des vingt dernières années et exigeant par conséquent un " retour aux bases " de l'enseignement, les autres mettant au pilori le manque d'équipement et de personnel et revendiquant une réforme radicale des contenus et des méthodes d'enseignement. Nous admettons volontiers que nous penchons plutôt du côté des seconds, tout en ajoutant que rien n'est simple, qu'il faut relativer les résultats et agencer convenablement les réformes !
Mais ne bousculons rien et commençons par mettre en évidence deux contre-performances particulièrement marquantes pour notre pays :
- seuls 1,7% des élèves luxembourgeois ont réussi à atteindre le niveau de compétences le plus élevé (moyenne OCDE = 10%), tandis que 35 % des élèves luxembourgeois - et 90 % des élèves de l'enseignement modulaire - se situent au niveau de compétences le plus bas (moyenne OCDE = 18,3 %);
- dans aucun autre pays, l'influence de la situation socio-économique n'est aussi marquée, l'indicateur en question révélant une différence de trois niveaux de compétence sur cinq entre les performances des " bons " et des " mauvais " élèves. Il semble d'ailleurs que cet écart existe tant dans l'enseignement secondaire que dans l'enseignement secondaire technique, si bien qu'il se vérifie aussi chez les élèves à langue maternelle luxembourgeoise, bien mieux représentés dans l'ES que dans l'EST !
Certaines particularités inhérentes à la situation linguistique et à l'organisation du test au Luxembourg
On peut certes trouver des explications à ces mauvais résultats et certaines ont d'ailleurs été avancées par la ministre de l'éducation nationale elle-même.
Ils ont d'abord à voir avec la situation linguistique de notre pays, cela d'autant plus que l'étude PISA 2000 mettait l'accent sur les facultés de compréhension de textes, alors que même dans le domaine des mathématiques les exercices exigeaient des capacités de langue plus élevés que ce n'est d'habitude le cas dans nos cours de maths. Notre système scolaire non seulement donne plus de poids à l'apprentissage des langues au dépens d'autres matières, mais le fait que toutes les matières sont enseignées dans une autre langue que la langue maternelle ralentit considérablement la transmission des connaissances. Ce dernier phénomène est particulièrement frappant dans les sciences naturelles et humaines.
Le fort pourcentage d'élèves à langue maternelle non luxembourgeoise renforce encore ces difficultés, l'étude montrant que ces élèves ont en moyenne des résultats plus faibles. La scolarisation dans deux langues étrangères paraît dépasser les capacités de plus en plus d'enfants et la multilinguicité, longtemps présentée comme un atout essentiel de notre système scolaire, est en train de se retourner contre lui.
Le problème est complexe, puisqu'il faudra trouver une voie de secours permettant de préserver en même temps le cadre intégratif de l'école publique.
Finalement, alors que rien ne permet de douter de la rigueur de l'échantillonnage dans les autres pays participants (où contrairement au Luxembourg, tous les élèves de 15 ans n'ont pas été testés), il semble que les tests n'ont pas été conduits chez nous avec le sérieux nécessaire, ni au niveau des conditions d'organisation (regroupement de plusieurs centaines d'élèves dans la salle des fêtes de chaque lycée/lycée technique), ni au niveau de la motivation des élèves (" ce n'est pas important; vous pourrez partir quand vous aurez fini !").
fournissent une part d'explication, mais qui n'est pas suffisante.
Passant en revue les questions du test PISA, on constate que l'accent est mis sur le savoir-faire et les techniques d'analyse, alors que notre enseignement demeure axé sur le savoir et la culture générale. Rien d'étonnant donc que dans le peloton de tête figurent les pays qui depuis pas mal d'années ont adopté un enseignement basé sur la pédagogie des compétences.
Or cette pédagogie n'est pas neutre: elle provient du monde des entreprises, où il s'agit d'instrumentaliser les habilités de la main-d'œuvre, répondant au mot d'ordre de flexibilisation du monde du travail ! D'ailleurs faut-il rappeler que l'OCDE, qui a lancé le programme PISA, constitue un des fers de lance du néo-libéralisme ? La logique de l'étude PISA reflète donc bien les préoccupations et les attentes du monde économique, qui ne prend guère en considération d'autres critères non économiques de l'enseignement, comme la faculté de former des citoyen/nes émancipé/es.
Ces objections tendent à affirmer qu'il y a un monde de l'enseignement et du savoir digne d'intérêt en dehors de celui testé par l'étude PISA et que les capacités de nos élèves ont été tronquées dans le test !
Ceci dit, il faut reconnaître que la motivation de la plupart des élèves passe par l'application du savoir, le " cela-sert-à " et que notre enseignement pèche certainement par une fixation sur l'accumulation de savoirs factuels et de règles - grammaticales et autres -, sortis de leur contexte pratique.
Quant aux différences de niveau de compétence, qui se sont avérées plus fortes dans le système scolaire luxembourgeois que dans celui des autres pays, elles font de nouveau apparaître au grand jour - à l'instar des résultats de l'étude MAGRIP des années 1970 ' que notre système d'enseignement creuse l'inégalité des chances; la défaillance des élèves du régime préparatoire en constitue l'illustration éclatante. Les bonnes performances des pays scandinaves dont les systèmes scolaires ignorent l'échec et qui pratiquent un tronc commun de 9 années, devraient faire réfléchir ceux et celles de nos compatriotes qui sont tourmenté-e-s par la crainte d'un nivellement vers le bas !
Modestie et prudence sont de mise !
Les résultats décevants pour le Luxembourg ont du moins le mérite de nous inciter à une certaine modestie face à d'autres pays. Ils devraient nous pousser à une plus grande ouverture d'esprit aux rénovations pédagogiques qui y sont entreprises et à ne pas nous crisper dans une attitude défensive du genre " Nous sommes quand-même les meilleurs ! ". Ils pourront même provoquer un choc salutaire, si nous résistons à la fois à la tentation de sombrer dans la morosité ou de rejeter les conclusions de l'étude en bloc.
Nous ne commençons pas à zéro
Entendons-nous bien dès le départ: le fameux " back to basics ", en d'autres termes, le " retour aux apprentissages premiers et à la rigueur " ne peut à notre avis tenir lieu de remède miracle universel et n'a par surcroît rien à voir avec les compétences visées dans le test sous revue. Nous ne contestons évidemment pas que lire, écrire et calculer forment la base de tout enseignement et que les élèves doivent fournir des efforts pour pouvoir progresser. Pourtant, l'analphabétisme primaire ou technique est la plupart du temps à mettre en relation avec la situation sociale défavorisée de familles ou de couches sociales entières et la lutte contre ce fléau passe nécessairement par une amélioration des conditions de vie de ces personnes et par un encadrement scolaire approprié de leurs enfants. Malheureusement, un tel encadrement fait cruellement défaut dans l'enseignement luxembourgeois ! Augmenter sous les conditions existantes la charge des devoirs à domicile ne serait alors qu'un coup de bâton dans l'eau et ne ferait qu'accentuer les différences entre les enfants nantis - à environnement socio-économique favorable - et les autres ! Par ailleurs, les aptitudes d'analyse et de transfert mobilisées au niveau des applications PISA vont bien au-delà des savoir-lire, -écrire et -calculer.
Ceci dit, nous sommes convaincus qu'il faudra repenser notre système scolaire aussi bien au niveau des contenus qu'au niveau des méthodes d'enseignement et d'apprentissage. Les programmes scolaires doivent être sérieusement élagués pour donner plus de champ à l'application et au savoir-faire. D'autre part, c'est toute la relation entre l'élève et " son " école et le rôle de l'enseignant-e dans le système qui méritent réflexion ! Il ne faut d'ailleurs nullement commencer à zéro; nombre de propositions ont été faites au cours des dix dernières années, plaidant pour :
- un allègement des programmes et le retour à l'essentiel et au sens de ce qu'on apprend ;
- une réforme fondamentale de l'enseignement des langues;
- l'interdisciplinarité et la concertation entre les enseignant-e-s;
- la fin du "tout-magistral" et le recours à une pédagogie participative;
- une place réservée aux travail en groupe, à l'approfondissement, à la recherche et à la créativité, permettant aux élèves de s'affirmer et de construire leur personnalité au lieu de subir et de rester passifs;
- une meilleure disponibilité des enseignants et la mise en place de la journée continue;
- l'écoute et l'appui personnalisé des élèves;
- une meilleure liaison avec l'environnement de l'école et la vie de tous les jours;
- des contacts réguliers entre les parents et les enseignant-e-s ;
- la formation continue des enseignant-e-s, obligatoire et intégrée dans la tâche ;
pour ne citer que celles-là. Malheureusement, ces propositions sont pour la plupart restées lettre morte et au cas où elles ont eu la chance d'accéder à l'état de projet (d'établissement), elles n'ont guère dépassé le cercle des initié-e-s directement impliqué-e-s dans celui-ci. Même les acquis de projets de plus grande envergure, comme PROF ou PROOF n'ont pas suffisamment été analysés ni généralisés. Si notre système éducatif est malade, il ne l'est pas à cause d'une " réformite " exagérée comme le laissent entendre des milieux conservateurs, mais parce que les réformes, au lieu d'être poussées au bout de leur logique se sont arrêtées en cours de route, laissant une impression de flou et de contradiction. On touche ici à un problème fondamental de l'école publique luxembourgeoise: l'absence de prise en charge institutionnelle et d'évaluation des réformes sous la direction du Ministère de l'Education nationale. Cette administration éprouve de grandes difficultés à mettre en œuvre et à faire assumer par l'ensemble du personnel enseignant des réformes majeures. Faute d'évaluation, faute de politique de formation continue des enseignant-e-s et faute de poigne politique visant à faire appliquer les acquis, on reste confiné au niveau de l'amateurisme, qui finit par décourager même les derniers imperturbables.
mais le cadre personnel et matériel de notre école publique est mal au point !
Le manque de personnel qualifié et le manque d'infrastructures, causés par la politique d'austérité irresponsable des quatre gouvernements précédents figurent certainement aussi parmi les facteurs d'explication majeurs des mauvais résultats du Luxembourg dans l'étude PISA. Il va sans dire qu'il faudra au cours de la prochaine décennie recruter massivement, construire de nouveaux lycées, équiper les établissements existants en salles d'études et de réunion et promouvoir la cogestion. Parmi ces exigences, le recrutement constituera sans doute le problème majeur.
Pour terminer, relevons un des rares apports positifs en matière de politique scolaire des dernières années: c'est la création d'un poste d'assistant-e social-e dans chaque lycée et lycée technique et d'un poste d'éducateur-trice gradué-e dans chaque lycée technique organisant des classes du régime préparatoire de l'EST. Ainsi, un début de suivi des élèves en difficultés peut enfin être entamé par les SPOS.
Guy Foetz, Ally Leytem