Planification des besoins en personnel enseignant dans le postprimaire
Planification des besoins en personnel enseignant dans le postprimaire:
- la politique de recrutement restrictive continue !
Voici donc que le MENFP a enfin répondu à ses obligations légales en publiant en juillet dernier un rapport de planification des besoins en personnel enseignant de l'enseignement postprimaire. Le dernier rapport annuel, prévu par la loi du 10 juin 1980 date en effet de 1991 et depuis, c'est plutôt un pilotage à vue suivant les disponibilités budgétaires qui a été mené.
A vrai dire, une étude du MEN sur les besoins en personnel avait vu le jour en 1994, mais elle avait été rapidement enterrée à l'instigation du Premier ministre, étant donné la conclusion inquiétante d'un besoin théorique de ... 468 titulaires manquants.
Description du rapport
Le rapport se subdivise en 5 parties, dont voici les points déterminants:
1. Introduction
Des problèmes de méthodologie et de collecte des données y sont évoqués.
2. Vue globale de la situation
On y note une augmentation de 30 % de la population scolaire de l'enseignement postprimaire public entre 1991 et 1997; l'intégration des classes complémentaires est responsable à raison de 40 % de cette augmentation.
Le rapport se réjouit d'une augmentation du nombre de leçons par élève, du nombre d'élèves par enseignant nommé, du nombre d'élèves par tâche complète, etc., chiffres qui “reflètent l'important effort de gestion rationnelle des ressources et du contrôle de coûts pour l'ensemble du système de l'enseignement postprimaire public”
Au total, les prestations par élève ont diminué de 11,9 % dans l'ES et de 11,16 % dans l'EST entre 1990 et 1997.
Quant aux prestations par enseignant, le rapport relève une part de 17,5 % des stagiaires et des chargés de cours à durée déterminée (10,9 % assurés par ces derniers) et admet “une charge moyenne hebdomadaire trop élevée” à la fois pour les stagiaires (24 leçons !) et pour les titulaires (22 leçons), charge qui a augmenté depuis 1991 en raison d'un “recrutement qui n'a pas suivi l'expansion de l'enseignement postprimaire” et qui donne lieu à 2-4 heures supplémentaires par tête.
3. Les besoins actuels
Le rapport fait d'abord une analyse de l'offre, définie comme “l'ensemble des prestations susceptibles d'être extraites du système d'enseignement actuel en vue de constituer des tâches complètes disponibles pour la création de postes d'enseignants à plein temps”
En substance, il s'agit
- des leçons supplémentaires du personnel titularisé (5.019 leçons en 1997, dont 4.076 utilisables pour la création de nouveaux postes);
- des leçons assurées par du personnel non titularisé (en 1997, il y eut 184 stagiaires assurant 2.889 leçons d'enseignement et 752 heures de surveillance, ainsi que 294 chargés de cours assurant 4.592 leçons d'enseignement et 569 heures de suveillance).
Selon un taux de conversion entre 25 et 100%, appliqué aux résultats, la simulation aboutit à des besoins en personnel situés entre 333 et 650 postes au total (439 avec un taux de conversion de 50%), ventilés en différentes spécialités.
Survient ensuite l'analyse de la demande sur la base d'une enquête sur les besoins des écoles en personnel enseignant effectuée auprès des directeurs des lycées et lycées techniques. Suivant que chaque établissement est considéré isolément ou que les leçons disponibles dans des lycées avoisinants sont cumulées, le rapport arrive à une demande totale de 331 ou 408 postes. Ces résultats sont évidemment inférieurs à ceux issus d'une analyse de l'offre, puisque les directeurs prennent en compte les stagiaires et chargés de cours déjà en service dans leur établissement.
Pour la fixation des besoins en 1997, la commission permanente “admet comme première estimation les résultats de l'analyse de l'offre avec un taux de conversion de 100 %, quitte à en déduire la part bloquée par le personnel déjà engagé ou prochainement engagé à durée indéterminée”, soit 650 postes au total.
Les détails sont fournis par le tableau ci-dessous:
4. Hypothèses d'évolution
Trois champs sont analysés: la population scolaire, l'enseignement et la disponibilité du corps enseignant.
En matière de population scolaire, les facteurs conjoints d'augmentation des naissances, de solde migratoire positif, de taux de scolarisation croissant et d'intégration des classes complémentaires ainsi que de l'enseignement pour les professions de santé dans l'EST, ont conduit entre 1990 et 1997 à un accroissement de 6.000 élèves dans l'enseignement postprimaire.
Or, cette évolution se poursuivra au même rythme au cours des 10 prochaines années; le rapport de planification prévoit deux scénarios:
* en partant de l'hypothèse que le taux de participation des jeunes de 12-20 ans à l'enseignement postprimaire public ne varie pas (il est actuellement de 62,3 %), les effectifs de l'enseignement postprimaire public passeront de 25.700 en 1997 à 31.800 en 2007 et à 33.900 en 2010;
* sous l'hypothèse d'un taux de participation en augmentation de 0,5 % par année
- hypothèse tout à fait réaliste, compte tenu d'une augmentation du taux de scolarisation et de l'incapacité des écoles privées d'augmenter leurs capacités d'accueil - les effectifs de l'enseignement postprimaire public passeront à 34.400 en 2007 et à 37.400 en 2010.
Le rapport conclut: “ Les conséquences sont alarmantes, mais évidentes: en 10 ans, la population scolaire de l'enseignement secondaire public augmentera de 33 %, c'est-à-dire de 9.700 élèves ou encore de 970 élèves par an. La progression annuelle sera plus modérée dans les années 90, allant de 2 à 3 %. Elle s'accélérera au-delà de 2000, dépassant les 3 % par année jusqu'à atteindre 3,84 % en 2007.”
Pour la commission permanente, il en résulte une “augmentation des besoins en personnel de 12,5 % ou de 300 postes pour les 5 années à venir.”
Dans le volet Enseignement et tâches connexes, analysé dans la suite du rapport, il est question de moyens de rationalisation (constitution d'auditoires, augmentation des effectifs de classes) pour faire face aux nouveaux flots d'élèves; de l'augmentation du pool de surveillants (qui sera encore augmenté de 50 unités en 1997-98), des charges et décharges (en diminution) et de la tâche du personnel enseignant (redéfinie en 1996-97), pour laquelle la commission met en compte le statu quo.
La disponibilité du personnel enseignant évoque la structure d'âge du personnel enseignant, représentée par le graphique suivant; on y note les années fortes (43 à 49 ans) qui donneront lieu à des départs à la retraite massifs entre 2010 et 2020.
Pour la période quinquennale à venir, le rapport table sur 180 départs à la retraite probables. Le tableau ci-dessus montre l'évolution prévisible jusqu'en 2006/07.
Quant aux décharges pour ancienneté, elles augmenteront jusqu'en 2010, pour diminuer ensuite considérablement, parallèlement avec le nombre élevé de départs à la retraite.
5. Les besoins prévisibles de 1997/98 à 2001/02
Pour fixer la politique de recrutement de la prochaine période quinquennale, la commission de planification part des besoins issus de son analyse de l'offre:
- leçons supplémentaires: 230 postes;
- leçons de stagiaires: 160 postes;
- leçons de chargés: 260 postes.
Elle tient compte d'autre part
- du projet de réforme du stage pédagogique (les stagiaires ne seront plus chargés d'une classe pendant la 1re année du stage);
- de la prorogation des contrats de 200 chargés de cours avec une première variante (24 leçons, pas de coefficients) et avec une deuxième variante (22 leçons + coefficients);
- d'une augmentation du nombre de surveillants;
- de l'ancienneté;
- des départs à la retraite;
- des facteurs démographiques (300 postes en plus jusqu'en 2002).
En prévoyant un recrutement de 80 stagiaires en 1997/98,
de 80 stagiaires en 1998/99,
de 60 stagiaires en 1999/00,
de 60 stagiaires en 2000/01,
de 60 stagiaires en 2001/02,
la commission compte pouvoir rééquilibrer les besoins à partir de 2001-2002.
Les deux tableaux suivants résument ces propositions.
Nos données de juin dernier se trouvent confirmées ...
Le rapport confirme on ne peut plus exactement les chiffres que le SEW avait avancés lors de sa conférence de presse de juin dernier, tant en ce qui concerne la diminution des prestations par élève depuis 1991 (-11 %) qu'en ce qui concerne l'augmentation du nombre des élèves dans le postprimaire public (+ 37 % depuis 1991/92; +21 % prévus jusqu'en 2003/04), ou encore la pyramides des âges déséquilibrée du corps enseignant (65 % des enseignants sont âgés entre 40 et 60 ans) !
... mais le plan de recrutement proposé est insuffisant !
Par contre, le plan de recrutement proposé par la commission de planification ne correspond ni aux besoins actuels ni aux besoins futurs !
- Revenons d'abord au “tableau des besoins à la suite de la réforme du stage”; à lire ce tableau et le commentaire du rapport, qui parle d'un rééquilibrage des besoins en 2001/02, on est porté à croire que les besoins diminueraient (totaux: 206, 234, 155, 111, 51).
Or, si les reports provenant d'engagements supplémentaires sont effectués d'une année sur l'autre, diminuant d'autant les leçons supplémentaires, aucun cumul des rubriques “ancienneté, démographie, retraite, autres départs “ n'est opéré.
Le calcul suivant permettra de voir plus clair en matière de besoins en fin de période quinquennale:
Besoin de départ en 1997/98 (230+160+260) 650
- leçons de chargés (tous engagés à durée indéterminée) - 260
- nouveaux stagiaires en 2e et 3e année (80+80+60+60) - 300
- surveillants supplémentaires - 45
+ ancienneté + 37
+ démographie + 300
+ retraite + 180
+ autres départs + 40
Besoin total en 2001/02 602 postes de titulaires
On est bien loin de la diminution des besoins que le rapport suggère par sa façon de présenter les chiffres ! Après l'engagement forcé à durée indéterminée des chargés de cours en service, qui a fait tomber les besoins de 650 à 390 postes, on reviendra en l'espace de 5 ans à une situation comparable à celle de 1996-97.
Sur le terrain, la tendance est déjà bien engagée: depuis le début de cette année scolaire, une nouvelle génération de chargés de cours à durée déterminée a surgi dans les établissements scolaires, dont les secrétariats sont parfois devenus de véritables bureaux de recrutement.
- Dès les premières pages, les auteurs du rapport évoquent “l'important effort de gestion rationnelle des ressources et du contrôle des coûts pour l'ensemble du système d'enseignement postprimaire public”; au moment de faire des propositions, ils insistent qu'”il n'y a pas lieu de mener une politique visant à réduire (!) systématiquement l'effectif moyen des classes...” Façon cynique de décrire l'évolution inverse qui a lieu depuis le début des années 1990, c'est-à-dire l'augmentation des effectifs tant dans l'ES que dans l'EST et la création d'auditoires regroupant pour certaines branches les élèves de plusieurs classes ! Les auteurs du rapport se rendent-ils compte que des méthodes d'enseignement actif et le contrôle oral systématique ne sont plus viables au-delà de 25 élèves par classe !
- Aucun besoin supplémentaire de personnel n'a été mis en compte en matière de programmes; pour la commission de planification, “les réformes de l'ES et de l'EST sont mises en oeuvre” (= achevées ?) et “les modifications peuvent se faire par le transfert de tâches (?) plutôt que par l'augmentation de tâches”. Or les décharges ont été fortement réduites en 1997 et plusieurs projets de réforme d'envergure, notamment celle du stage pédagogique seront lancés prochainement. Pas question donc d'intégrer ces charges dans la tâche ?!
- Le plan de recrutement proposé par la commission avalise la tendance à confier un nombre croissant de tâches annexes à des non-enseignants travaillant sous un régime de contrats à durée déterminée.
Ainsi, le service de surveillance donnera lieu à l'embauche supplémentaire de 50 surveillants à durée déterminée.
Ainsi, le rapport remarque au sujet de l'augmentation des activités des écoles dans le cadre des transformations sociales en cours:” ... le Ministre de l'Education Nationale et de la Formation Professionnelle continuera à mettre en oeuvre une politique visant à une gestion plus rationnelle des ressources et notamment des décharges. D'ores et déjà, il est prévu de transférer des activités rémunérées sous forme de décharges à un personnel non-titulaire.”
Faut-il rappeler les formes de statut salarial de plus en plus diversifiées parmi les enseignants du postprimaire: stagiaires; chargés de cours à durée indéterminée; chargés d'éducation à durée déterminée; assistants pédagogiques, surveillants, répétiteurs (à venir), titulaires enfin.... Une espèce en voie de disparition ? Pour le bien de l'Ecole publique ?
- Rien n'est prévu pour couvrir les besoins supplémentaires en relation avec la nouvelle loi de formation continue; le rapport admet bien que “la formation continue et la formation des adultes ... prennent une importance croissante dans les années à venir.” Il estime pourtant qu'il est “difficile, voire impossible d'en évaluer l'impact sur les besoins en personnel enseignant”. Encore un bel exemple de politique de l'autruche !
Conclusion
Depuis plusieurs années, les enseignants et leurs syndicats observent avec inquiétude la dégradation des conditions de travail dans l'enseignement postprimaire. Cette dégradation a de multiples facettes: absence de planification, politique de réforme désordonnée, manque d'infrastructures, manque de personnel qualifié, ... .
Au cours de cet été, le tribunal administratif a sanctionné à sa façon la politique de recrutement désastreuse du MENFP et celui-ci a accepté le verdict: tous les chargés de cours en service ont reçu un contrat de travail à durée indéterminée. Ceci est évidemment une bonne chose pour les personnes concernées et le SEW se félicite de la régularisation de leurs conditions de travail, d'autant plus que nombre d'entre eux disposent d'un diplôme en bonne et due forme et furent longtemps victimes de la politique de recrutement restrictive. En revanche, à la même occasion de nombreux chargés de cours sans formation suffisante ont été définitivement admis à enseigner; nous disons clairement que cette solution ne correspond pas à nos souhaits, qu'elle est néfaste pour l'enseignement, mais qu'elle résulte du manque de planification, de l'étroitesse d'esprit par rapport à nos propositions et du mépris pour les règles du droit commun, des responsables du MENFP.
Le rapport de planification tant attendu qui vient enfin d'être publié aurait pu servir de nouveau départ rassurant; or, il n'en est rien !: Après avoir constaté l'existence de besoins en personnel bien supérieurs à ceux du dernier rapport de 1991, après avoir dressé un scénario “alarmant, mais évident” quant au nombre d'élèves jusqu'en 2007, il propose somme toute de poursuivre la politique restrictive en matière de recrutement, qui est en opposition flagrante avec les déclarations grandiloquentes de nos responsables politiques sur la qualité de l'enseignement.
C'est décevant et révoltant !
Guy Foetz