Des signes d'une politique d'enseignement à tendance libérale
Le nouveau Lycée Aline Mayrisch n'est pas un lycée comme un autre !
Il s'agit du premier lycée inauguré par la « nouvelle » Ministre de l'Education nationale et cet événement présentait une occasion de choix pour poser les jalons de l' « offensive » annoncée par son parti à l'occasion des élections législatives de 1999.
Autant dire qu'il fallait être particulièrement attentif au cours des choses ! En fait, certaines mesures qui ont accompagné la mise en place du nouveau lycée marquent à mon avis une rupture fondamentale et néfaste avec la politique traditionnelle de l'enseignement public luxembourgeois.
Rupture quant aux méthodes d'affectation des enseignant-e-s ...
Dans une lettre datée du 1er mars 2001, adressée aux directeurs-trices de tous les lycées et lycées techniques, la ministre de l'éducation nationale écrit: "Les demandes [des enseignant-e-s intéressé-e-s] seront transmises à M. le Directeur du Lycée Aline Mayrisch qui entrera en contact avec les enseignants intéressés et, le cas échéant, les invitera à un entretien." La liste annexée concernait une quarantaine de postes de différentes branches d'enseignement.
Voilà donc un directeur d'établissement qui se voit accorder par sa ministre le pouvoir de sélectionner ses enseignant-e-s; d'où la question si cette délégation de pouvoir n'est pas contraire à la législation et à la réglementation en vigueur au MEN et dans la fonction publique en général.
En effet, du fait que l'ensemble des lycées des deux ordres d'enseignement constituent une seule entité administrative, un directeur de lycée ne dispose pas des prérogatives d'un directeur d'administration en matière de gestion du personnel: c'est le ministre de l'éducation nationale qui décide de l'affectation des professeurs du secondaire et secondaire technique. D'autre part, le statut général des fonctionnaires ne mentionne pas d'autre critère de sélection que celui de l'ancienneté de service.
qui mine le terrain d'entente actuel à ce sujet
L'argumentation expliquant qu'il fallait donner au directeur du LAML l'occasion de choisir « son équipe » pour faire démarrer « son projet » d'établissement méconnaît ce critère unique, qui a jusqu'ici constitué la clé d'un traitement équitable du corps enseignant et d'un climat d'entente et de sérénité à ce sujet. Certes, le critère d'ancienneté de service présente quelques inconvénients - nourris d'ailleurs par des pratiques informelles de la part de certains chefs d'établissements - et il s'est trouvé modulé par des règlements internes - non publiés - du MEN. N'empêche qu'il garantit une objectivité plus grande que l'opinion personnelle d'un directeur au sujet de la conformité d'un professeur aux exigences d'un hypothétique projet d'établissement, et qu'il est jugé transparent et légitime par la grande majorité des enseignant-e-s. A mes yeux, tous les fonctionnaires se valent. De par leur formation, les professeurs de l'ES et de l'EST sont suffisamment flexibles pour participer à des projets pédagogiques quels qu'ils soient. C'est précisément au directeur que revient la tâche de motiver son équipe composée dans le respect du seul critère objectif qu'est l'ancienneté de service !
Si demain, à l'occasion de l'inauguration des six lycées actuellement en construction ou en projet, de nouvelles « dots » du genre LAML étaient distribuées; si les directeurs/trices des autres lycées demandaient les mêmes privilèges en utilisant les mêmes arguments, l'enseignement luxembourgeois serait parti pour la gloire d'une affectation de postes arbitraire et clientéliste !
Le revirement du MEN pour affecter les professeurs ne s'est d'ailleurs pas limité au Lycée Aline Mayrisch: à l'occasion des mutations de fin d'année scolaire 2000/2001, les candidat-e-s nouvellement nommé-e-s furent les seul-e-s à pouvoir prétendre aux postes devenus vacants après le premier tour de mutations. La Ministre expliquait qu'il fallait «permettre à davantage d'établissements de se voir affecter des enseignants plus jeunes ». Un tel raisonnement ne constitue certainement pas un encouragement pour les enseignant-e-s plus âgé-e-s; en plus il me semble logiquement et pratiquement douteux. Logiquement douteux, puisque le manque de jeunes titulaires, dû à une politique de recrutement désastreuse, ne peut être compensé miraculeusement en manipulant arbitrairement une réglementation solide et reconnue. Pratiquement douteux, puisque le deuxième tour des mutations ne se joue pas au niveau des lycées classiques, dont le corps enseignant a effectivement une moyenne d'âge plus élevée, mais des lycées techniques, qui disposent d'un corps plus jeune.
A noter que le Lycée Aline Marisch ne figurait pas sur la première liste de postes vacants, destinée à tou-te-s les enseignant-e-s (y compris les « vieux »), alors qu'il réapparut sur la deuxième liste réservée aux nouveaux candidat-e-s.
Rupture quant à l'égalité de traitement des élèves de l'école publique ?
Le projet d'établissement du LAML regorge d' « atouts », de « moyens » et d'« éléments novateurs» pour « accompagner l'élève sur la voie de l'autonomie et de la prise de responsabilités ». Il faut souhaiter bonne chance à cet engagement mais rappeler en même temps que des projets semblables d'accompagnement et de responsabilisation des élèves sont mis en oeuvre depuis plusieurs années dans d'autres lycées et lycées techniques, et cela sans conditions spéciales.
Du moins le LAML proclame-t-il haut et fort un atout particulier: chaque élève disposera d'un ordinateur. Tout en ignorant le volume des autres moyens déployés au Lycée Aline Mayrisch pour réaliser son projet d'établissement, je ne peux m'empêcher de constater - sans fausse envie - que dans les autres établissements postprimaires, les élèves n'ont accès aux ordinateurs que pendant le cours d'informatique, et que même à cette occasion ils sont encore trop souvent obligés de se partager un poste de travail à deux. Je conclus par conséquent à un manque flagrant d'équité en matière d'équipement informatique !
Une autre question qui touche à l'égalité de traitement des élèves a surgi le long du projet LAML: dans la première version de son site Internet (remplacée depuis), les futurs élèves se destinant aux classes de l'EST étaient conviés à des « entretiens obligatoires ». La direction voulait-elle s'arroger aussi le droit de choisir ses élèves ? Drôle de projet pédagogique qui pour réussir nécessiterait telle mesure. Malgré la suppression de cette condition sur le site www actuel, c'est un signe de mauvaise augure.
L'élitisme et autonomie sans cogestion par la petite porte !
Mettre en place l'organisation d'un nouveau lycée public et le rendre attirant, n'est certainement pas une tâche facile. Il ne faut pas pour autant miser sur l'attribution de privilèges qui se retournent contre le personnel et des principes de base de l'école publique. Or,
- l'autonomie pédagogique dont parle le dépliant du LAML a été doublée d'une large autonomie administrative unilatérale pour la direction - allant jusqu'au choix des enseignant-e-s -, sans qu'aucun droit de cogestion n'ait été garanti au personnel ;
- les moyens matériels mis à disposition élèvent le nouveau lycée au-dessus des autres et vont à l'encontre de l'égalité de tous les élèves de l'école publique devant la loi.
Voici que l'économie libérale, inégalitaire et peu soucieuse des intérêts du personnel fait son entrée par la petite porte ! Les enseignant-e-s et leurs syndicats feraient bien de lui bloquer l'accès !
Guy Foetz