«Développer des compétences dès le début de la scolarité: une idée à la mode ou un changement majeur?»

La conférence de M Perrenoud ayant eu lieu la veille de la fin de rédaction de la présente édition, je me limiterai à présenter ces quelques pensées et observations du conférencier.
La mise en pratique d'un enseignement par compétences est un changement majeur. Il faut aller au-delà d'un changement cosmétique de la situation existante et il ne suffit pas de renommer ce qui existe depuis toujours. Pour réussir le défi, il faut redéfinir les finalités de l'école. Pour qu'un changement de l'école ait lieu, il faut que les enseignants du terrain y adhèrent. La définition d'un socle pour l'école fondamentale reste une affaire ambiguë. Suffit-il de dire que c'est ce que nul ne devrait ignorer pour vivre? Comment faut-il le définir? Est-ce que les socles doivent répondre aux seuls exigences et attentes de l'OECD? N'est-ce pas un choix philosophique? Un choix de société? Faut-il éduquer des êtres hyper socialisés ou des individualistes? Est-ce possible de définir un socle vraiment commun? Quelles sont les langues ou valeurs communes dans un pays multilingue et multiculturel comme le Luxembourg? Faut-il mettre l'accent sur la démocratie, les Droits de l'Homme? Reste-t-il le droit à la différence? La mise en oeuvre d'un enseignement par compétences exige une discussion approfondie sur le système scolaire et a de très lourdes conséquences sur l'école. Un tel débat n'a jamais eu lieu au Luxembourg. Sans avoir le courage de mener ce débat, cette réforme n'aura donc aucune chance de réussir. L'idée d'une égalité de chances doit être abandonnée. L'école ne réussira plus à équilibrer les niveaux hétérogènes des enfants qui existent au début de la scolarité, ni à faire avancer les enfants socialement défavorisés au même rythme que les descendants des classes instruites. Il reste un engagement de la société de permettre l'accès de tous à un socle minimum nécessaire pour pourvoir vivre et fonctionner dans la société. L'ascenseur social restait toujours un objectif jamais atteint de l'école, mais quand même un objectif. Va-t-on abandonner cet objectif noble et construire un système scolaire qui d'emblée va figer les inégalités sociales et économiques? M Perrenoud a démontré lors de sa conférence qu'il y a souvent confusion entre compétences et objectifs. Si on se limite à reformuler les objectifs pour les faire ressembler à des socles, il n'y aura aucun changement. Il a d'ailleurs démontré par des exemples que les définitions du document luxembourgeois ne sont pas toujours des compétences. Il y a souvent confusion entre compétences, attitudes ou valeurs. Il faut d'ailleurs dire que ces définitions varient d'un auteur à l'autre. Un enseignement et une évaluation des compétences nécessitent un travail dans des situations réelles. Il faut travailler les concepts, c'est-à-dire le rapport entre l'esprit et l'action. Les compétences sont au service de l'action. La perte de ce lien rend le concept insignifiant. Une approche par compétences n'a d'intérêt que si elle se centre sur la mobilisation des acquis des apprenants. Il ne suffit pas de posséder des connaissances et des capacités, mais on doit pouvoir les mobiliser pour réussir dans une situation concrète. La compétence ne réside pas dans les ressources, connaissances ou capacités à mobiliser mais dans la mobilisation même de ces ressources. Cette mobilisation n'est pas de l'ordre d'une simple application, mais de celui d'une construction. |
Il faut d'ailleurs se rendre compte qu'actuellement à l'école, on n'apprend pas pour la vie. Au contraire, beaucoup de compétences dont les jeunes ont besoin dans leur vie journalière (sexualité, gestion de l'argent, interaction avec les parents,...) ne sont jamais enseignées à l'école. Il faut donc connecter d'une certaine façon l'école à la vie réelle. Le choix des sujets dépend de la vie des élèves et ne peut pas être purement scolaire. Il faut confronter les enfants aux problèmes réels et concrets de la vie. Ceci signifie évidemment qu'il faut faire un choix. Agir dans des situations réelles prend beaucoup de temps. L'école doit lâcher du lest. Il faut réduire considérablement les connaissances enseignées à l'école. Est-ce possible au Luxembourg? Trouvera-t-on rapidement un accord ou le soutien nécessaire de tous les partenaires de l'école sans débat préalable, sans préparation, sans information? L'évaluation des compétences n'est pas une chose facile. Les enseignants risquent de se retrouver devant d'énormes grilles avec de longues colonnes de compétences à cocher. Une évaluation par des épreuves standardisées est dénuée de sens. Or il semble qu'on voudrait justement établir cette contradiction dans nos écoles fondamentales avec l'introduction d'épreuves standardisées en 3e année d'études. Qu'en est-il de l'évaluation par un portfolio. Le portfolio consiste en un ensemble de traces qui peuvent servir de souvenirs, mais qui ne suffisent pas nécessairement à faire une évaluation, parce qu'ils ne sont pas de bons indicateurs. Pour pouvoir se servir du portfolio pour l'évaluation, il faut le structurer, le construire avec de bons indicateurs et avec des finalités concrètes pour aboutir à des réflexions sur les apprentissages. D'après M. Perrenoud ceci n'est pas possible pour toute une classe. L'envergure d'une telle tâche dépasse les capacités d'un enseignant. Un enseignement par compétences n'est pas compatible avec une sélection des enfants à l'âge de douze ans. Alors va-t-on briser tous les tabous pour reprendre la discussion sur le tronc commun pour la mise en oeuvre d'un enseignement par compétences? Je me permets d'en douter. L'enseignement par compétences ne peut pas être un enseignement de masse. Comment expliquer alors que beaucoup d'inspecteurs plaident pour une augmentation des effectifs de classe d'après les consignes de la lettre ministérielle aux communes? Philippe Perrenoud a le mérite d'avoir expliqué de façon très claire le concept de l'enseignement par compétences. Il a dissimulé assez habilement ses critiques parmi d'autres propos. Il a néanmoins démontré qu'une introduction prématurée d'un tel changement d'envergure, sans changement radical du système scolaire, n'a aucune chance de réussir. L'école risque un échec cuisant qui engendrera une nouvelle perte d'autorité de l'institution et une démotivation des enseignants. |
Patrick Arendt