«Développer des compétences dès le début de la scolarité: une idée à la mode ou un changement majeur?»

29.04.2008

La conférence de M Perrenoud ayant eu lieu la veille de la fin de rédaction de la présente édition, je me limiterai à présenter ces quelques pensées et observations du conférencier.
La mise en pratique d'un enseignement par
compétences est un changement majeur. Il faut
aller au-delà d'un changement cosmétique de la
situation existante et il ne suffit pas de renommer ce
qui existe depuis toujours. Pour réussir le défi, il faut
redéfinir les finalités de l'école.

Pour qu'un changement de l'école ait lieu, il faut que
les enseignants du terrain y adhèrent.

La définition d'un socle pour l'école fondamentale
reste une affaire ambiguë. Suffit-il de dire que c'est
ce que nul ne devrait ignorer pour vivre? Comment
faut-il le définir? Est-ce que les socles doivent répondre
aux seuls exigences et attentes de l'OECD? N'est-ce
pas un choix philosophique? Un choix de société?
Faut-il éduquer des êtres hyper socialisés ou des individualistes?
Est-ce possible de définir un socle vraiment
commun? Quelles sont les langues ou valeurs
communes dans un pays multilingue et multiculturel
comme le Luxembourg? Faut-il mettre l'accent sur la
démocratie, les Droits de l'Homme? Reste-t-il le droit
à la différence?

La mise en oeuvre d'un enseignement par compétences
exige une discussion approfondie sur le système
scolaire et a de très lourdes conséquences sur l'école.
Un tel débat n'a jamais eu lieu au Luxembourg. Sans
avoir le courage de mener ce débat, cette réforme
n'aura donc aucune chance de réussir.


L'idée d'une égalité de chances doit être abandonnée.

L'école ne réussira plus à équilibrer les niveaux hétérogènes
des enfants qui existent au début de la scolarité,
ni à faire avancer les enfants socialement défavorisés
au même rythme que les descendants des
classes instruites. Il reste un engagement de la société
de permettre l'accès de tous à un socle minimum
nécessaire pour pourvoir vivre et fonctionner dans la
société.

L'ascenseur social restait toujours un objectif jamais
atteint de l'école, mais quand même un objectif.
Va-t-on abandonner cet objectif noble et construire
un système scolaire qui d'emblée va figer les inégalités
sociales et économiques?


M Perrenoud a démontré lors de sa conférence qu'il
y a souvent confusion entre compétences et objectifs.
Si on se limite à reformuler les objectifs pour les faire
ressembler à des socles, il n'y aura aucun changement.
Il a d'ailleurs démontré par des exemples que
les définitions du document luxembourgeois ne sont
pas toujours des compétences. Il y a souvent confusion
entre compétences, attitudes ou valeurs. Il faut
d'ailleurs dire que ces définitions varient d'un auteur
à l'autre.

Un enseignement et une évaluation des compétences
nécessitent un travail dans des situations réelles. Il faut
travailler les concepts, c'est-à-dire le rapport entre
l'esprit et l'action. Les compétences sont au service de
l'action. La perte de ce lien rend le concept insignifiant.
Une approche par compétences n'a d'intérêt que si
elle se centre sur la mobilisation des acquis des apprenants.
Il ne suffit pas de posséder des connaissances et
des capacités, mais on doit pouvoir les mobiliser pour
réussir dans une situation concrète. La compétence
ne réside pas dans les ressources, connaissances ou
capacités à mobiliser mais dans la mobilisation même
de ces ressources. Cette mobilisation n'est pas de
l'ordre d'une simple application, mais de celui d'une
construction.

Il faut d'ailleurs se rendre compte qu'actuellement à
l'école, on n'apprend pas pour la vie. Au contraire,
beaucoup de compétences dont les jeunes ont besoin
dans leur vie journalière (sexualité, gestion de l'argent,
interaction avec les parents,...) ne sont jamais
enseignées à l'école. Il faut donc connecter d'une
certaine façon l'école à la vie réelle. Le choix des
sujets dépend de la vie des élèves et ne peut pas être
purement scolaire. Il faut confronter les enfants aux
problèmes réels et concrets de la vie.
Ceci signifie évidemment qu'il faut faire un choix. Agir
dans des situations réelles prend beaucoup de temps.
L'école doit lâcher du lest. Il faut réduire considérablement
les connaissances enseignées à l'école.

Est-ce possible au Luxembourg? Trouvera-t-on rapidement
un accord ou le soutien nécessaire de tous les
partenaires de l'école sans débat préalable, sans préparation,
sans information?


L'évaluation des compétences n'est pas une chose
facile. Les enseignants risquent de se retrouver devant
d'énormes grilles avec de longues colonnes de compétences
à cocher.

Une évaluation par des épreuves standardisées est
dénuée de sens.

Or il semble qu'on voudrait justement établir cette
contradiction dans nos écoles fondamentales avec
l'introduction d'épreuves standardisées en 3e année
d'études.


Qu'en est-il de l'évaluation par un portfolio. Le portfolio
consiste en un ensemble de traces qui peuvent
servir de souvenirs, mais qui ne suffisent pas nécessairement
à faire une évaluation, parce qu'ils ne sont pas
de bons indicateurs. Pour pouvoir se servir du portfolio
pour l'évaluation, il faut le structurer, le construire avec
de bons indicateurs et avec des finalités concrètes pour
aboutir à des réflexions sur les apprentissages. D'après
M. Perrenoud ceci n'est pas possible pour toute une
classe. L'envergure d'une telle tâche dépasse les capacités
d'un enseignant.

Un enseignement par compétences n'est pas compatible
avec une sélection des enfants à l'âge de douze
ans.

Alors va-t-on briser tous les tabous pour reprendre la
discussion sur le tronc commun pour la mise en oeuvre
d'un enseignement par compétences? Je me permets
d'en douter.


L'enseignement par compétences ne peut pas être un
enseignement de masse.

Comment expliquer alors que beaucoup d'inspecteurs
plaident pour une augmentation des effectifs de classe
d'après les consignes de la lettre ministérielle aux
communes?


Philippe Perrenoud a le mérite d'avoir expliqué de
façon très claire le concept de l'enseignement par
compétences. Il a dissimulé assez habilement ses critiques
parmi d'autres propos. Il a néanmoins démontré
qu'une introduction prématurée d'un tel changement
d'envergure, sans changement radical du système
scolaire, n'a aucune chance de réussir. L'école risque
un échec cuisant qui engendrera une nouvelle perte
d'autorité de l'institution et une démotivation des
enseignants.


Patrick Arendt