"Faut-il enseigner la chasse à un jeune Cheyenne ?"
Telle est la question réthorique que Pascal Combemale pose dans un article paru dans les Cahiers pédagogiques, en relation avec la nécessité d'enseigner l'Economie aux lycéens n'ayant pas choisi la section économique.
Face à l'omniprésence de l'économie dans notre société et au rôle de socialisation de l'école, la réponse est évidemment positive; mais dès qu'il s'agit de fixer les objectifs, le contenu et la méthodologie d'un tel cours, nous voilà replongés dans le brouillard !
Quels objectifs, quels contenus ?
- S'agit-il de satisfaire la demande d'apprendre certains actes, certaines techniques, comme remplir un chèque, faire un placement boursier, créer une entreprise, ... ?
- Faut-il définir une série de termes quotidiennement repris dans la presse, comme investissement, emprunt obligations, balance commerciale ?
- Va-t-on répéter et expliquer les discours néo-libéraux du genre limitation des dépenses publiques, accroissement de la compétitivité, ... dont les protagonistes de la guerre économique permanente actuelle nous submergent ?
- Doit-on se rabattre sur les „grandes lois économiques“, comme la loi de l'offre et de la demande ?
Toutes ces propositions, citées à maintes reprises par les protagonistes d'un cours d'économie, se caractérisent avant tout par leur caractère utilitaire ou conservatoire:
il s'agit soit de transmettre des éléments d'une boîte à outils dont les élèves pourraient individuellement se servir, soit de légitimer l'ordre social existant, soit d'expliquer pour la centmillième fois les lois du marché capitaliste.
La question cruciale: „Quel enseignement économique général faut-il dans une société démocratique ?“ en est absente.
C'est pourtant là que le bât blesse !
Pourquoi et pour qui produisons-nous ? Quel projet de société avons-nous ? Où conduira la politique actuelle ? Voilà les questions d'actualité susceptibles de capter l'attention des élèves et de les faire avancer dans leur propre réflexion !
Communiquer un savoir abstrait ...
D'aucuns répondront qu'il ne pourra s'agir de faire de la politique en classe ou de s'aventurer dans un débat philosophique sur les valeurs sociales, mais de communiquer des lois scientifiques objectives et une méthodologie fondamentale; en somme un mode de pensée économique.
Or, abstraction faite d'une sélection bien subjective de théories plutôt libérales que socialistes dans les livres scolaires existants (nous voilà replongés dans la fonction idéologique de légitimation d'un ordre social !), un souci de formalisme abstrait risque de confronter les élèves avec des contenus éloignés de la réalité sociale et de réduire l'impact de ceux-ci à une mauvaise expérience de mémorisation.
A titre d'exemple à ne plus suivre, rappelons l'anecdote de tribu préhistorique dont l'économiste Böhm-Bawerk s'est servi pour décrire la notion de capital économique et qui a fait partie du programme de l'examen de fin d'études secondaires des sections A,B et C pendant une vingtaine d'années (à vrai dire, jusqu'à la disparition du cours en question)!
Détaché de tout contexte social concret, cette histoire incongrue n'informe ni sur le rôle du capital dans la société actuelle, ni sur sa naissance et son développement.
Quel en a été l'effet éducatif pour une génération d'élèves, sinon de confirmer leur jugement „économie = histoires à dormir debout“ ?
... ou promouvoir la réflexion des élèves ?
En tant que science humaine, l'économie est forcément „contaminée“ par des influences politiques et des discussions sur les valeurs. Sans négliger l'aspect scientifique, la réflexion sur les forces politiques et sociales en présence, sur la voie à suivre et ses limites, sur la responsabilité pour soi-même et les autres (= solidarité) constituent des objectifs de premier ordre.
Fournir des informations concrètes et un début de méthode analytique et synthétique, initier une discussion pour habiliter les élèves à mieux comprendre les rapports de force économiques dans la société moderne et à assumer leur futur rôle de citoyen responsable, voilà tout un programme, qui incite aussi à mettre en question l'ordre établi et à nourrir les utopies nécessaires pour passer au XXIe siècle.
Quelles méthodes d'enseignement ?
Dans cette optique, finis les cours ex-cathedra, sauf pour mettre en route le processus ou pour expliquer une méthode ou des notions théoriques !
Apprendre aux élèves à faire une recherche, à appliquer l'outil informatique et à interpréter des résultats; construire avec eux des réseaux relationnels destinés à rendre compte de la complexité des phénomènes économiques et de la marge de manoeuvre souvent très limitée et à ouvrir de nouveaux débats; mettre en évidence les conclusions qui s'imposent, voilà le rôle de l'enseignant d'économie !
A vrai dire, ce rôle est bien différent de ce que moi-même et la plupart de mes collègues ont vécu, aussi bien et en tant qu'élèves, qu'en tant que victimes d'un stage pédagogique inadapté !
Guy Foetz