Quelle réforme du cycle inférieur de l'EST ?
Depuis plusieurs mois, un groupe de travail composé d'une dizaine d'enseignant-e-s de l'EST est chargé par le MENFPS de redéfinir les objectifs à atteindre par les élèves à l'issue du cycle inférieur sous l'hypothèse d'une abolition des filières (théorique, polyvalente, professionnelle). En gros, il s'agirait d'alléger les programmes pour amener une majorité d'élèves vers les régimes professionnel et du technicien, le régime technique étant à l'avenir appelé à jouer un rôle plutôt marginal - pour l'élite de l'EST.
Aucune information n'a jusqu'à présent été communiquée aux « partenaires scolaires », sauf un rapport au collège des directeurs de l'EST à la fin du trimestre dernier.
Etant donné qu'il s'agit là d'un projet majeur qui bouleverserait les structures de l'EST, une telle cachotterie est tout aussi inacceptable que nuisible et un certain nombre de questions doivent être posées :
Quel a été le processus de décision au MENFPS pour s'engager dans un tel projet structurel ? Qui - quel groupe de personnes a lancé l'idée ? Avec qui cette idée a-t-elle été discutée ? Sur quelles analyses ou études se base-t-on ?
Dans quelle réforme d'ensemble s'insère ce projet ? Comment compte-t-on poursuivre ?
Ces questions méritent d'être posées ! Depuis une vingtaine d'années, l'enseignement luxembourgeois a été soumis à tant de tiraillements structurels incohérents, voire même contradictoires et qui n'ont toujours pas été évalués, qu'il n'est pas acceptable d'entreprendre une nouvelle réforme fondamentale sur un coup de tête d'un ou de plusieurs hauts fonctionnaires du MENFPS.
Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est
1. un état des lieux de l'ensemble de notre enseignement, qui comporte nécessairement une analyse de ses atouts et de ses déficiences
2. un projet de redressement, qui doit porter sur l'ensemble du système scolaire, en commençant au niveau de l'enseignement primaire - voire du préscolaire, et qui doit tenir compte des structures sociétales actuelles, notamment au niveau du fonctionnement de la cellule familiale et des disparités linguistiques qui existent dans notre pays
3. une mise en œuvre progressive de la réforme, qui doit débuter à l'âge précoce des enfants et qui doit miser sur la formation et l'engagement des enseignants
4. une évaluation à chaque étape de la mise en œuvre progressive, qui doit tirer les leçons de ce qui a été accompli et permettre de décider des suites à donner.
Ce qu'il ne faut surtout pas, c'est une réforme aveugle, qui ne sait pas d'où on part, quels sont les problèmes à résoudre et où on veut aller; une réforme pour la réforme, qui ne sert qu'à faire du vent politique et qui se contente de slogans du genre « back to basics » sans considérer ni l'environnement social et scolaire, ni les moyens et les méthodes à mettre en œuvre; une réforme qui débute au milieu du système et qui fait abstraction du gâchis irréversible qui a déjà eu lieu; une réforme d'en haut qui est l'expression d'une attitude méprisante à l'égard des « partenaires scolaires » et qui néglige le facteur déterminant, c'est-à-dire l'engagement des enseignants.
Le SEW figure parmi les protagonistes du « tronc commun », et on ne peut certainement pas soupçonner notre syndicat de brandir à tors et à travers le spectre du « dénivellement vers le bas ». L'exemple de la Finlande, champion de d'étude PISA prouve d'ailleurs qu'en regroupant tous les jeunes de 7 à 16 ans dans une même école, on peut effectivement combiner un enseignement commun avec d'excellents résultats scolaires.
Or, cette excellence a un prix: le système scolaire Finlandais brille par la prise en charge précoce des enfants et l'intégration des élèves étrangers. Dans l'enseignement préscolaire pendant les premières années du primaire, deux à trois enseignants s'occupent d'une classe, permettant de répondre de manière individuelle aux besoins diversifiés des enfants. Quant aux élèves immigrés, on leur offre des cours de langue maternelle et de langue finlandaise avant de les intégrer dans le système scolaire autochtone. On garantit ainsi que les écarts ne se creusent pas et que les élèves deviennent capables d'assumer leurs charges scolaires.
C'est tout le contraire de ce qui se passe chez nous: le système scolaire luxembourgeois se « distingue » par une proportion démesurée d'enfants qui pour des raisons sociales ou du fait qu'ils ne maîtrisent pas la langue véhiculaire, perdent pied dès le début de l'école primaire et se retrouvent dans l'enseignement secondaire technique sans connaissances de base ni motivation !
Or, au lieu de lutter à temps contre le creusement des écarts dans l'enseignement primaire, le projet d'abolition des filières propose d'en faire abstraction et de demander aux enseignants du cycle inférieur de l'EST de traiter les matières inscrites au programme avec des classes composées d'une proportion importante d'élèves qui savent à peine lire et écrire. Cela se solderait forcément par une diminution de l'ensemble des performances à l'issue de la classe de neuvième.
Nous ne pouvons approuver une telle démarche parce qu'elle n'est autre que le retour en arrière vers l'enseignement professionnel d'avant la réforme de 1979 ! S'il faut bien voir que les programmes sont surchargés et qu'il est « préférable d'apprendre aux élèves le français de tous les jours plutôt que le subjonctif imparfait du verbe moudre », comme vient de le formuler une collègue, il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain et ajuster le niveau du cycle inférieur sur celui des laissés-pour-compte de notre système scolaire.
Tout au contraire s'agira-t-il de relever le niveau de qualification de l'ensemble des jeunes passant par le système scolaire luxembourgeois
- en s'occupant des élèves en difficulté dès le début de leur scolarité,
- en prenant à bras-le corps le problème des langues,
- en mettant en œuvre dans l'enseignement technique une pédagogie plus motivante faisant appel à l'activité et à la responsabilité des élèves tout en proposant des aides individuelles à ceux qui en ont besoin.
Tout cela demande des investissements dans la recherche et la formation des enseignants, ainsi que dans l'équipement des écoles.
Les responsables politiques du ministère du MEN luxembourgeois sont-ils prêts à payer le prix d'une vraie réforme ?
Guy Foetz
(Encadré à insérer près de l'article «Quelle réforme du cycle inférieur de l'EST ?»)