Avis du SEW/OGB-L sur les nouvelles dispositions prévues pour l'enseignement secondaire technique à partir de 2003-2004
1) Avant-projet de règlement grand-ducal portant institution des classes d'accueil et de classes d'insertion dans le cycle inférieur et le régime préparatoire de l'EST
Cet avant-projet de règlement crée enfin un cadre légal pour les classes d'accueil et les classes d'insertion. Cependant, il ne se base pas sur les résultats d'une évaluation et d'une analyse critique des projets d'accueil de l'enseignement complémentaire avant 1994 et des différents lycées techniques.
Or, il est important de s'appuyer sur les expériences et les différents projets d'école et de prévoir des mesures concrètes et la flexibilité nécessaire pour résoudre les problèmes pratiques.
Le Ministère de l'Education Nationale, de la Formation Professionnelle et des Sports ne se base que sur les classes pilotes du LTC, seul établissement offrant des classes d'insertion aux différents niveaux du cycle inférieur de l'enseignement secondaire technique. En effet, les classes d'accueil des autres établissements (LTE, LTNB, LTMA, ...) ne fonctionnent qu'au niveau de l'enseignement préparatoire; dans le meilleur des cas les jeunes primo-arrivants ne peuvent accéder qu'en 9e pratique francophone, quels que soient leurs antécédents et acquis scolaires.
Les problèmes d'organisation
- Pour créer une classe d'accueil, un lycée doit avoir au moins 12 élèves en septembre / octobre. Or, l'expérience montre que l'immigration se déroule pendant toute l'année et pas seulement avant la rentrée des classes. En pratique, on a souvent 3 à 6 élèves inscrits en septembre, une dizaine en octobre, pour terminer le trimestre avec 17 à 20 élèves. Le ministère devrait donc permettre aux lycées plus de flexibilité dans la création de telles classes et prévoir les moyens budgétaires nécessaires. La création des classes d'accueil et d'insertion ne doit pas être limitée par les critères d'effectifs valables pour les autres classes. Le même problème se pose au niveau du dédoublement et de la nouvelle création d'une classe en cours d'année scolaire. En effet, pas mal de primo-arrivants n'arrivent qu'en janvier / février et le cadre d'une classe d'accueil à 23 élèves par exemple ne permet plus de garantir un accueil éducatif efficace. De même, les responsables doivent prévoir des classes à régime linguistique spécifique à effectifs raisonnables afin de garantir l'intégration rapide en cours d'année scolaire des élèves des classes d'accueil qui avancent plus vite. Il est donc important de réduire le nombre d'élèves par classe pour garantir une prise en charge individualisée de chaque jeune et pour permettre le transfert d'une classe d'accueil vers une classe d'insertion en cours d'année.
- L'hétérogénéité des classes pour primo-arrivants est très prononcée et se constate à plusieurs niveaux: différences d'âge, de nationalité et de culture, mais aussi différences énormes des connaissances préliminaires et des antécédents scolaires qui ne peuvent pas être pris en considération ( allant de l'analphabétisme au niveau d'un lycée classique).
- S'y ajoute la grande fluctuation de la classe: chaque jour peut arriver un nouvel élève débutant (accueil individualisé) avec tous les problèmes que cette situation pose au jeune, au groupe-classe et à l'enseignant-e. Comme l'effectif de la classe d'accueil « explose », les meilleurs élèves sont rapidement intégrés dans une autre classe à régime linguistique spécifique. Ainsi ils ne sont plus disponibles comme élèves-tuteurs facilitant le contact avec les primo-arrivants. En effet, à part les défis pédagogiques énormes, on ne doit pas sous-estimer les problèmes de communication dans les classes pour primo-arrivants (communication entre enseignant-e-s et élèves, entre élèves et élèves). Il est important de prévoir aussi d'autres formes d'organisation des cours (p. ex. « teamteaching », enseignement interdisciplinaire).
- Chaque lycée offrant des structures d'accueil devrait les organiser à tous les niveaux du cycle inférieur et au régime préparatoire de l'enseignement secondaire technique (cf. LTC) afin de pouvoir orienter chaque jeune selon ses compétences et intérêts. Actuellement, un élève du LTE par exemple doit continuer au régime préparatoire malgré ses compétences plus élevées, tandis qu'un élève à niveau semblable du LTC peut continuer par exemple en classe polyvalente à régime linguistique spécifique. Comme les classes du LTC sont souvent complètes, les jeunes des autres lycées sont obligés de continuer leurs études à l'étranger (Belgique, France). On doit aussi se demander s'il n'est pas opportun de créer des classes d'insertion au secondaire classique, de même que des classes fondamentales et d'alphabétisation pour les nombreux jeunes primo-arrivants en grande difficulté scolaire.
- Dans ce contexte on doit féliciter le ministère pour l'avant-projet de règlement grand-ducal (voir ci-dessous) introduisant des classes à régime linguistique spécifique au régime technique, au régime de la formation de technicien et au régime professionnel de l'enseignement secondaire technique. Néanmoins, les cours théoriques du métier du régime professionnel devraient toujours être disponibles en allemand et en français. En effet, actuellement certains métiers (niveau CATP) ne sont pas accessibles pour les élèves étrangers vu le manque de candidats pour la création d'une classe francophone. Or, comme ces jeunes apprennent aussi le luxembourgeois, on pourrait envisager des classes bilingues (langue luxembourgeoise comme langue d'enseignement des cours techniques et professionnels avec supports écrits et épreuves en allemand et en français).
Les problèmes d'équipement des classes d'accueil
Les classes d'accueil et d'insertion ont besoin d'un équipement performant :
- Elles doivent disposer du matériel didactique et informatique pour pratiquer l'enseignement des langues étrangères, pour différencier et pour individualiser l'enseignement en classe, pour organiser un enseignement interdisciplinaire et le « teamteaching ».
Les problèmes de formation initiale et continue des enseignant-e-s
- La formation initiale et continue des enseignant-e-s ne tient pas assez compte de la diversité de cette population scolaire et des nouveaux défis auxquels se voient confrontés l'école publique et ses enseignant-e-s. La formation des enseignant-e-s doit prendre en compte les nouvelles exigences dans l'enseignement des langues et les nouvelles approches pédagogiques et les nouveaux contenus comme l'approche de l'apprentissage du luxembourgeois qui est la langue de communication orale, l'enseignement des langues étrangères, les techniques de différenciation interne et externe, l'individualisation de l'enseignement, la collaboration avec les parents d'élèves (étrangers), le « teamteaching » l'intervention et la collaboration avec des médiateurs et des enseignant-e-s de langue maternelle, la démarche interculturelle.
Les problèmes de la diversité des programmes des classes à régime linguistique spécifique du cycle inférieur et du régime préparatoire.
- Certains lycées organisent leurs classes à régime linguistique spécifique du cycle inférieur (dites classes francophones) sans l'enseignement de l'allemand. Dans d'autres lycées par contre, l'allemand est enseigné comme langue étrangère et compte comme branche de promotion, barrant l'accès à bon nombre d'élèves (par exemple au passage en 9e pratique francophone ou en 10e professionnelle francophone).
Encore quelques réflexions :
Pour garantir une meilleure intégration scolaire et sociale des jeunes étrangers, l'apprentissage du luxembourgeois est très important. Néanmoins, on devrait aussi prévoir l'intégration de leur langue maternelle dans l'enseignement. Ceci peut alléger la monotonie des horaires des classes d'accueil. En effet, faute de langue de communication, le programme actuel se limite aux langues étrangères, aux mathématiques, au sport, aux des ateliers pratiques et options.
Ces cours de langues et de culture d'origine peuvent être combinés avec l'enseignement d'autres branches (mathématiques, sciences, connaissances du monde et notamment du Luxembourg). Ils peuvent être organisés de façon à favoriser la collaboration et l'intervention conjointe d'un-e enseignant-e luxembourgeois-e et étranger/ère. Ainsi le jeune immigré se sentira à l'aise lors de sa première scolarisation au Luxembourg et pourra passer de sa langue maternelle en investissant ses connaissances antérieures dans l'apprentissage des nouvelles langues. Le jeune primo-arrivant devrait aussi avoir la possibilité de continuer son apprentissage d'autres langues, notamment de l'anglais.
On devrait renforcer la collaboration avec les parents étrangers; les parents pourront être impliqués plus facilement par l'intervention commune des enseignant-e-s étrangers/ères et luxembourgeois-e-s.
Les lettres en français adressées aux parents ne sont pas toujours comprises. L'initiative du MENFPS et de l'ASTI en 1999 de créer un réseau social et scolaire de médiateurs/trices dans le cadre de l'accueil scolaire des enfants réfugiés connaît beaucoup de succès et mérite d'être étendue à tous les enfants étrangers.
Enfin, l'organisation de l'école en journée continue avec cantine scolaire et activités culturelles et de loisir (p.ex. animation d'une bibliothèque avec centre documentaire, journal scolaire, ateliers d'expression artistique, ateliers théâtre, échanges avec des écoles à l'étranger, séjours linguistiques et soutiens scolaires et périscolaires) est un facteur important dans la réalisation de l'égalité des chances et de l'intégration sociale des jeunes primo-arrivants.
2) Avant-projet de règlement grand-ducal déterminant l'évaluation et la promotion des élèves des classes du cycle inférieur et du régime préparatoire de l'EST ainsi que les conditions d'admission aux classes des différents régimes du cycle moyen
L'admission en 10e demandant un bilan ? 40 et des notes ? 40 dans les branches spécifiques conduira à une sélection beaucoup plus forte des élèves: si on les appliquait aux notes de l'année scolaire 2000-2001, un élève sur deux n'aurait pu accéder à la voie de formation choisie.
Alors que nous admettons qu'il faut orienter les élèves suivant leur capacités, nous doutons fortement que les capacités de nos élèves ne soient suffisamment mises en valeur dans le cadre du système scolaire luxembourgeois actuel. Cela tient d'une part au problèmes linguistiques que l'école luxembourgeoise n'aborde pas sérieusement, d'autre part au manque de prise en charge individuelle des élèves confronté-e-s à des difficultés d'apprentissage liées à leur environnement social et à leur âge pubertaire et enfin au manque de méthodes pédagogiques motivantes mises en oeuvre.
Plutôt que de vouloir soutenir un renforcement des critères d'orientation, qui conduira sans doute à une prépondérance des formations professionnelles moins exigeantes dans le cycle moyen, nous plaidons pour un relèvement du niveau de qualification de l'ensemble des jeunes passant par notre système scolaire.
Pour y réussir, il faudra
- s'occuper des élèves en difficulté dès le début de leur scolarité,
- prendre à bras-le-corps le problème des langues,
- mettre en œuvre dans l'enseignement technique une pédagogie plus motivante faisant appel à l'activité et à la responsabilité des élèves tout en proposant des aides individuelles à ceux-celles qui en ont besoin.
Tout cela demande des investissements dans la recherche et la formation des enseignant-e-s, ainsi que dans l'équipement des écoles, soit l'engagement de vraies réformes à moyen et long terme.
Une autre réflexion qui nous rend réticent-e-s à approuver le passage du ou au et réside dans le caractère subjectif des notes scolaires. Etant donné qu'il existe de fortes différences d'appréciation d'un-e enseignant-e à un-e autre, il ne nous semble pas opportun de faire dépendre la promotion d'un-e élève de la note finale obtenue dans une branche précise. La moyenne de notes obtenues (bilan) constitue un critère beaucoup plus objectif. Nous suggérons donc de reformuler le texte en question de la manière suivante :
« pour l'admission en 10e, un bilan ? 40 et des notes ? 40 dans les branches spécifiques est souhaitable; en cas de bilan ? 40 et de notes < 40 dans une ou plusieurs branches spécifiques, le conseil de classe décide de la promotion de l'élève ;».
Finalement, nous tenons à remarquer que de manière générale, les critères de promotion dans l'EST deviennent de plus en plus stricts, alors que cela n'est pas le cas dans l'ES.
Pourquoi applique-t-on deux poids et deux mesures ? Serait-ce parce que les parents des élèves de l'EST forment un lobby politique moins puissant que ceux de l'ES ?
3) Avant-projet de règlement grand-ducal introduisant des classes à régime linguistique spécifique au régime technique, régime de la formation de technicien et au régime professionnel de l'enseignement secondaire technique
Si nous approuvons en principe cette mesure, nous voudrions néanmoins faire deux remarques à son égard:
- il faut être conscient-e que nombre d'élèves en « profiteront » pour négliger davantage encore la langue mal aimée, ce qui posera aux enseignant-e-s concerné-e-s des difficultés énormes pour les motiver et pour organiser leurs cours face à un public à deux vitesses;
- afin d'éviter des problèmes organisationnels en relation avec deux langues véhiculaires différentes par formation, il faudra prévoir une spécialisation des lycées techniques.
4) Avant-projet de règlement grand-ducal déterminant l'évaluation et la promotion des élèves dans les cycles moyen et supérieur du régime technique et du régime de la formation du technicien de l'enseignement secondaire technique
La phrase de l'exposé des motifs (p.3) disant que « L'élève doit réussir la classe de 11e dans les trois années à partir de son inscription au cycle moyen. » doit être complétée en y ajoutant « ... à partir de son inscription dans un même régime au cycle moyen », sinon elle s'oppose au contenu de l'article 9.3.
Nonobstant cette remarque, nous nous opposons à l'interdiction de plus d'un redoublement volontaire dans un régime du cycle moyen :
- nous pensons d'une part que les élèves ne mesurent souvent pas à cet âge les conséquences de leur paresse et qu'il n'est pas admissible de leur fermer définitivement l'accès à une formation ;
- nous pensons d'autre part qu'il n'est pas admissible de traiter différemment les élèves de l'EST par rapport à ceux/celles de l'ES, où une telle restriction n'existe pas !
5) Le choix des langues dans le régime de la formation du technicien
A notre avis, les futur-e-s technicien-ne-s doivent pouvoir choisir parmi le français, l'allemand et l'anglais.
Nous partons de l'idée générale que l'apprentissage d'une langue déterminée ne devrait constituer un obstacle pour l'obtention d'un diplôme dans les formations visées.
Ensuite, nous ne voyons vraiment pas pourquoi il faudrait privilégier l'anglais par rapport aux deux autres langues fondamentales qui sont parlées au Luxembourg. En quel sens notamment un-e futur-e technicien-ne agricole ou artistique aurait-il-elle besoin de l'anglais pour exercer sa profession ?
Nous pensons finalement que c'est à travers l'information sur ce qui est important pour la formation choisie au niveau linguistique qu'il faut motiver les élèves et non par la coercition !
6) Avant-projet de règlement portant institution et organisation des commissions nationales pour les programmes de l'enseignement secondaire technique
Nous suggérons de compléter l'avant-projet de règlement par les dispositions suivantes :
a) l'introduction d'une coordination entre les branches de formation générale de l'EST avec celles de l'ES ;
Nous pensons en effet que qu'il est nécessaire de coordonner les contenus et les méthodes pédagogiques dans les deux ordres d'enseignement.
b) la mise en place de moyens de fonctionnement (à fixer par règlement ministériel) pour les commissions nationales, sous la forme
- de décharges pour les personnes qui s'engagent au niveau du bureau
- d'un budget de fonctionnement
- d'un lieu de réunion bien équipé.
Les déficiences de fonctionnement actuelles des commissions nationales tiennent à l'absence de personnes disponibles pour fournir un travail de réflexion et de recherche en dehors des réunions plénières. Ce n'est pas la distribution de jetons de présence à un hypothétique bureau qui résoudra le problème; encore faudra-t-il que les membres du bureau aient le temps et les moyens pour s'atteler à leur tâche qui sera énorme et pour laquelle les volontaires ne sont pas légion !
Quant aux réunions plénières, elles pourront servir alors de forum d'information et de discussion de propositions fondées.
Nos voudrions profiter de l'occasion pour demander des informations à Madame le Ministre de l'Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports sur l'état d'avancement du Centre de documentation pédagogique dont l'ouverture au Centre de Langues avait été annoncée pour le mois de mai de cette année.
Luxembourg, le 31 mars 2003
SEW/OGB-L