PISA-Hearing Chambre des Députés Position SEW

27.08.2003

8. Quelles sont les mesures à prendre à court terme, à long terme, pour adapter notre système scolaire aux exigences des pays de l'OCDE ?
Combien de temps faudra-t-il envisager pour que les modifications apportées au système scolaire aient l'effet voulu ?

D'abord: de quelles exigences s'agit-il ?
Nous supposons que la question désigne par là les objectifs déclarés de la part des initiateurs de l'étude PISA de rendre les élèves capables d'analyser, de raisonner et de communiquer leurs idées efficacement et de les habiliter à apprendre tout au long de leur vie ?
Sans vouloir mettre en cause ces objectifs, nous tenons quand-même à souligner qu'ils ne sont pas neutres lorsqu'ils proviennent de l'un des fers de lance du néo-libéralisme qu'est l'OCDE. Passant en revue les questions du test PISA, on constate que l'accent y est mis sur la pédagogie des compétences. Faut-il préciser que cette pédagogie est issue du monde des entreprises, où il s'agit d'instrumentaliser les habilités de la main-d'œuvre et d' éduquer les salariés au « life-long-learning » - si possible pendant leurs loisirs -, répondant au mot d'ordre de flexibilisation du monde du travail ! La logique de l'étude PISA reflète donc bien les préoccupations et les attentes du monde économique, qui ne prend guère en considération d'autres critères non économiques de l'enseignement, comme la faculté de former des citoyen/nes émancipé/es.
Ces objections tendent à relativer la perception de l'étude et de ses résultats et à affirmer qu'il y a un monde de l'enseignement et du savoir digne d'intérêt en dehors de celui testé par PISA. Alors qu'évidemment dans le peloton de tête figurent les pays qui depuis pas mal d'années ont adopté un enseignement basé sur la logique des compétences, n'est-il pas tout aussi plausible que les capacités de nos élèves ont été tronquées dans le test ?
Ceci dit, il faut reconnaître que la motivation de la plupart des élèves passe par l'application du savoir, le « cela-sert-à » et que notre enseignement pèche certainement par une fixation sur l'accumulation de savoirs factuels et de règles - grammaticales et autres -, sortis de leur contexte pratique.
Nonobstant nos distances que nous venons de prendre face à ladite « pédagogie des compétences » pour les raisons évoquées plus haut, nous sommes convaincus qu'il faudra repenser notre système scolaire aussi bien au niveau des contenus qu'au niveau des méthodes d'enseignement et d'apprentissage. Les programmes scolaires devront être sérieusement élagués pour donner plus de champ à l'application et au savoir-faire. D'autre part, c'est toute la relation entre l'élève et « son » école et le rôle de l'enseignant dans le système qui méritent réflexion. Tout ceci est un travail de longue haleine; ceci ne nous empêche pe pas de plaider dès à présent pour :
- un allègement des programmes et le retour à l'essentiel et au sens de ce qui est appris ;
- la fin du "tout-magistral" et le recours à une pédagogie participative;
- une place réservée aux travail en groupe, à l'approfondissement, à la recherche et à la créativité, permettant aux élèves de s'affirmer et de construire leur personnalité au lieu de subir et de rester passifs;
- l'interdisciplinarité et la concertation entre les enseignants;
- la mise en place de la journée continue;
- l'écoute et l'appui personnalisé des élèves;
- une meilleure liaison avec l'environnement de l'école et la vie de tous les jours;
- des contacts réguliers entre les parents et les enseignants ;
- la formation continue des enseignants, obligatoire et intégrée dans la tâche.
Il s'agit là d'autant de revendications formulées de longue date par notre syndicat .
Il ne faut d'ailleurs pas commencer à zéro; nous constatons que nombre de propositions concrètes ont été faites au cours des dix dernières années, mais qu'elles sont pour la plupart restées lettre morte. Au cas où elles ont eu la chance d'accéder à l'état de projet (d'établissement), elles n'ont guère dépassé le cercle des initié-e-s directement impliqué-e-s dans celui-ci. Même les acquis de projets de plus grande envergure, comme PROF ou PROOF n'ont pas suffisamment été analysés ni généralisés. Si donc notre système éducatif est malade, il ne l'est pas à cause d'une « réformite » exagérée comme le laissent entendre des milieux conservateurs, mais parce que les réformes, au lieu d'être poussées au bout de leur logique se sont arrêtées en cours de route, laissant une impression de flou et de contradiction. On touche ici à un problème fondamental de l'école publique luxembourgeoise: l'absence de prise en charge institutionnelle et d'évaluation des réformes sous la direction du Ministère de l'Education nationale. Cette administration éprouve de grandes difficultés à mettre en œuvre et à faire assumer par l'ensemble du personnel enseignant des réformes majeures. Faute d'évaluation, faute de politique de formation continue des enseignant-e-s et faute de poigne politique visant à faire appliquer les acquis, on reste confiné au niveau de l'amateurisme, qui finit par décourager même les derniers imperturbables !
Le manque de personnel qualifié et le manque d'infrastructures, causés par la politique d'austérité irresponsable des quatre gouvernements précédents ne faciliteront certainement pas la tâche à l'avenir ! Il va sans dire que si l'on veut éussir, il faudra au cours de la prochaine décennie recruter massivement, construire de nouveaux lycées et équiper les établissements existants en salles d'études et de réunions.
Parmi ces exigences, le recrutement constitue sans doute le problème majeur.
Or, les blocages actuels au niveau du concours de recrutement de personnel enseignant de l'enseignement secondaire et secondaire technique empêchent même la réalisation du programme gouvernemental, à notre avis déjà insuffisant. Nous revendiquons par conséquent aussi bien une meilleure transparence du concours de recrutement qu'une suspension de ce concours dans les branches à pénurie d'enseignant-e-s. (voir en annexe notre communiqué récent et la lettre du 5 avril 2001 adressée au Premier Ministre).
Une autre condition sine qua d'un revirement positif est la promotion de la cogestion des enseignants. Le SEW exige depuis des années la mise en place de véritables délégations du personnel agréées, disposant d'un réel droit de regard, d'information, de consultation et de proposition dans tous les domaines qui touchent
- au régime de service du personnel ;
- à l'organisation et au fonctionnement de l'établissement ;
- à l'élaboration de règlements d'organisation interne ;
- aux questions de perfectionnement professionnel et de sécurité.
Ces délégations devraient avoir accès à la documentation complète concernant la gestion de l'établissement et devraient disposer d'un crédit d'heures et d'une infrastructure technique appropriée (bureau équipé, salle de réunion, panneau d'affichage).
Le SEW ne peut admettre qu'en matière de représentation du personnel les établissements postprimaires continuent d'être régis par une législation d'exception par rapport à d'autres administrations publiques et au secteur privé !

Doit-on envisager un contrôle de qualité de notre enseignement scolaire ?

La question de l'évaluation de la qualité dans le système d'éducation est actuellement en discussion dans pratiquement tous les pays de l'Union européenne. En revanche, elle ne commence qu'à être discutée au Luxembourg. Jugeant que les enseignants ont intérêt à s'exprimer haut et fort sur un terrain qu'ils connaissent mieux que quiconque, le SEW est ouvert à participer activement à cette discussion. Qui en effet serait contre une amélioration de la qualité de l'enseignement qui procéderait forcément d'une telle évaluation ? Plus difficile par contre de définir cette qualité ainsi que les méthodes d'évaluation de cette qualité, et de solutionner les problèmes qui se présentent ! Dans un climat de politique budgétaire restrictive, on remarque rapidement que des mondes séparent l'enseignant, ses élèves et leurs parents d'une part, et les responsables politiques d'autre part. On découvre parallèlement que derrière l'idée apparemment simple et généreuse de la qualité de l'enseignement se cachent souvent les protagonistes de la logique libérale et du « marché de l'éducation ».
Le débat sur la qualité de l'enseignement est donc indissociable du débat sur les moyens matériels et personnels de l'Education nationale, sur la formation initiale et continue des enseignants et sur les pouvoirs de cogestion des membres de la communauté scolaire - et notamment des enseignants. Un outil essentiel de progrès consisterait par exemple à permettre aux élèves, aux enseignants et aux parents de formuler ce qu'ils pensent de « leur » école.
A l'instar des principes directeurs dégagés par Michael Schratz, chargé de cours à l'institut pédagogique de l'Université d'Innsbruck, à l'occasion d'une table ronde organisée en novembre 1998 à Luxembourg par le comité syndical européen de l'éducation - confédération syndicale dont fait partie le SEW,
- évaluer la qualité de l'enseignement est pour nous une recherche en vue de comprendre la qualité du processus d'apprentissage et de ses résultats ;
- dans le cadre de cet effort, il s'agit surtout de connaître ce qui se passe dans la salle de classe; de comprendre les freins et les accélérateurs du processus d'apprentissage ;
- l'accent est à mettre sur l'efficacité à long terme, par opposition à des techniques limitées au court terme ;
- l'école doit rester propriétaire de l'évaluation de la qualité de l'enseignement; il faut éviter un « outsourcing » vers des agences d'inspection externe (comme cela s'est fait dans le modèle britannique) ;
- l'école doit se comprendre elle-même comme un organisme qui apprend, plutôt que comme une institution qui délivre un savoir; il faut passer du "moi et ma classe" au "nous et notre école".

L'évaluation de la qualité de l'enseignement devra servir les élèves et non pas constituer un instrument pour différencier les traitements des enseignant(e)s, pour mettre en concurrence les écoles et pour transformer progressivement notre système scolaire en un marché de l'éducation privatisé.
Les données sur la qualité de l'enseignement devront
- résulter d'indicateurs objectifs et comparables, choisis et mis en place en concertation avec les syndicats d'enseignants;
- rester strictement internes et ne pas être divulguées à l'extérieur de l'établissement scolaire auquel elles se rapportent (les enseignants et les chercheurs seront propriétaires de ces données !);
- ne pas servir à établir un classement entre des établissements scolaires.
L'autoévaluation d'un établissement scolaire, procédant e.a. de l'analyse de ces données devra se faire dans le cadre d'un contrat de confiance entre le Ministère de l'Education nationale et l'école concernée.
Un tel contrat de confiance impliquerait notamment la mise à disposition des moyens financiers nécessaires pour résoudre les problèmes pédagogiques et organisationnels qui se dégageraient de l'analyse.


Annexes
- Communiqué du SEW/OGB-L, datant du 08 février 2002, exigeant une meilleure transparence du concours de recrutement des enseignants de l'enseignement secondaire et secondaire technique.
- Lettre du 5 avril 2001 adressée par le SEW/OGB-L au Premier Ministre, demandant la suspension du concours de recrutement des enseignants de l'enseignement secondaire et secondaire technique.