Avis du SEW/OGB-L sur le document « Un nouveau cadre pour le cycle inférieur et le cycle moyen de l'enseignement secondaire technique »

06.11.2006

Remarques préliminaires



Le SEW/OBG-L compte parmi les organisations qui ont constamment appelé de leurs vœux une meilleure égalité des chances et une meilleure qualité de l'école publique et nous avons depuis notre création en 1979 insisté à de multiples reprises sur la nécessité de réformer en profondeur notre enseignement, tant au niveau des objectifs et des contenus qu'au niveau des méthodes d'enseignement et d'évaluation.
Mais réformer en profondeur va de pair avec « poser les conditions préalables pour être gagnant », en substance: établir un état des lieux, analyser en profondeur, planifier minutieusement et surtout écouter les professionnels du terrain, c'est-à-dire les enseignant-e-s, et les gagner pour la cause commune en les préparant et les rassurant. Faire fi de ces conditions préalables et vouloir brûler les étapes équivaut à aller droit au fiasco.
C'est sous cet angle qu'il faut percevoir les critiques suivantes du document « Un nouveau cadre pour le cycle inférieur et le cycle moyen de l'enseignement secondaire technique ».
Ce document s'inspire de deux éléments :

  • du projet cycle inférieur (PROCI) introduit dans 6 lycées techniques dès la rentrée 2003-2004 et qui est venu à échéance l'année scolaire passée
  • - du projet de loi portant réforme de la formation professionnelle qui vient d'être adopté par le conseil de gouvernement en date du 29 septembre 2006.


Commentaire du texte



Chapitre 1 La structure de l'EST

1. Les cycles d'apprentissage

Nous acceptons la subdivision en cycles d'apprentissage de l'enseignement, qui sont en principe destinés à rendre le travail pédagogique plus souple et plus réfléchi.
Mais commençons alors par l'enseignement préscolaire et primaire et veillons à assurer une prise en charge adéquate et une aide personnalisée des enfants dès les premières années de leur scolarité ! Il faut en effet éviter, comme c'est le cas actuellement, qu'une forte proportion n'arrive en classe de 7e sans avoir assimilé les contenus inscrits au programme de la 6e, voire de la 5e ou 4e année d'études primaires. Nous préconisons aussi une coopération intensive entre les enseignant-e-s du primaire/préscolaire et du secondaire/secondaire technique.
Quant à la réorganisation de l'EST en cycles de 7e/8 et de 9e/10e et 11e/12e/13e, elle s'inspire essentiellement du projet de réforme de l'enseignement professionnel. Attendons donc que la loi portant réforme de la formation professionnelle soit effectivement votée avant de modifier la structure de l'EST !

Le cycle d'observation

Le document propose le regroupement de tous les élèves dans des classes hétérogènes, à l'exception de ceux et de celles qui quittent l'enseignement primaire sans avoir acquis le socle de compétences visé. Ceux et celles-ci fréquenteraient des classes d'adaptation.
Ceci appelle plusieurs remarques.

  1. La disparition des filières crée des classes très hétérogènes, plus hétérogènes encore que celles des lycées PROCI, puisqu'une partie des élèves actuellement dans les classes du régime préparatoire devraient rejoindre les 7es techniques. Quant au niveau prévisible de ces classes, citons quelques extraits d'une étude suisse au sujet de la gestion de l'hétérogénéité et la différenciation au cycle d'orientation: « Les recherches n'attestent pas de différences majeures sur le plan des acquisitions scolaires entre les élèves regroupés dans des sections ou des niveaux et ceux fréquentant des classes indifférenciées. (…) » Néanmoins « L'introduction de classes hétérogènes dans un degré pour des raisons d'équité éducative va généralement de pair avec une adaptation du plan d'études, des exigences et du rythme de travail pour tenir compte des élèves les plus faibles et les plus lents. On s'interdit ainsi de facto d'aller plus loin et plus vite avec les plus forts. De ce point de vue, il n'est pas possible d'affirmer sans autre précaution que l'introduction de classes indifférenciées en 7e ne freinerait pas les éléments les plus capables sur le plan scolaire.» Et d'ajouter: «A la lumière des recherches analysées, une différenciation interne à la classe hétérogène, tenant compte du niveau de capacités des élèves, apparaît comme la solution la plus efficace. » Finalement, l'étude prévient: «La gestion de l'hétérogénéité implique une bonne préparation pédagogique des enseignants quant aux méthodes ou techniques de différenciation interne.» Une autre étude d'envergure arrive à peu près aux mêmes conclusions.
    Nous en concluons ce qui suit :
    • Les différences de niveau énormes prévisibles entre les élèves des classes du cycle inférieur du nouveau cadre risquent d'induire une adaptation vers le bas du plan d'études pour tenir compte des élèves les plus faibles et de pénaliser ainsi les bons élèves de l'EST. Pour apprécier ce risque dans la situation luxembourgeoise, l'expérience du « Projet cycle inférieur » pourrait constituer une source d'information. Or ce projet n'a toujours pas été évalué. Nous ne savons pas
      * quel est le niveau de ces classes
      * si les élèves fort-e-s ont pu travailler suffisamment à leur niveau
      * si les élèves faibles ont été poussé-e-s à s'améliorer par la présence d'élèves plus fort-e-s
      qu'eux dans leurs classes ou si au contraire ils-elles ont été d'autant plus découragé-e-s
      Nous pensons qu'il faut disposer de ces informations avant de passer à la phase de la généralisation !
    • Avant de créer des classes hétérogènes au niveau national dans le cycle inférieur de l'EST, il faut réduire les différences de niveau entre les élèves qui accèdent à l'EST. Cela implique qu'il faut se donner les moyens d'aider les enfants en difficulté dès les premières années du primaire pour éviter qu'ils-elles perdent pied et qu'ils-elles d'accumulent les déficits jusqu'à un point où rien de va plus. En 7e, il est bien trop tard de corriger le tir ! Ne mettons pas la charrue avant les bœufs et commençons à investir massivement dans les premières années de la scolarité pour donner sa chance à chaque enfant !
    • Pour permettre un enseignement valable dans des classes hétérogènes, il faut former les professeurs de l'enseignement postprimaire dans cette direction et concevoir du matériel didactique adapté. Il faut également prévoir des structures d'accompagnement performantes et limiter le nombre des élèves dans ces classes.
      Or, cette formation n'est pas garantie actuellement et les effectifs de classe dans le cycle inférieur de l'EST se situent souvent au-dessus de 20 élèves (enseignement primaire: < 20!) et vont croissant. Quant aux structures d'accompagnement, elles sont pour le moment inexistantes par manque d'enseignant-e-s et de personnel éducatif ! Où sont en effet les personnels éducatifs qui aideraient les enseignant-e-s avec les élèves présentant des graves troubles comportementaux ?
      D'autre part, les lycées surpeuplés font qu'on ne dispose pas de salles de classe fixes pour les classes du cycle inférieur, condition sine qua non pour organiser un enseignement différencié qui mérite ce nom.
  2. Le choix de créer des classes d'adaptation pour les élèves qui n'ont pas acquis le socle de compétences de base de l'enseignement primaire est une solution de facilité que nous réprouvons. Nous insistons qu'il ne faut pas désarmer et que la lutte contre l'échec scolaire passe par une aide individualisée dès les premières années de la scolarité !


3.Le cycle de transition
Hormis notre exigence d'attendre le vote de la loi portant réforme de la formation professionnelle avant de toucher aux structures de l'EST, nous tenons à afficher notre scepticisme face à la création d'une classe de 10e commune pour les formations de technicien et de DAP. Le document sous revue reste muet au sujet des modalités de différenciation.
Quant aux élèves n'ayant pas acquis le socle de compétences visé par le cycle d'observation de l'EST, il est proposé de leur donner un « survival package » et de les orienter au mieux vers une formation CITP. Cela risque d'augmenter encore le nombre de jeunes quittant l'école sans véritable qualification. Déjà actuellement, plus de 50 % des détenteurs d'un CITP ou d'un CCM restent sans contrat d'apprentissage.

4.Le cycle supérieur de l'EST
Nous condamnons sévèrement la dévalorisation proposée du diplôme de technicien. Présenté il y a 10 ans comme une voie médiane entre le bac technique et le CATP, le diplôme de technicien serait finalement entièrement professionnalisé, modularisé et pratiquement assimilé au nouveau DAP. L'aptitude à suivre des études supérieures dans la spécialité serait lié aussi bien pour le futur technicien que pour le détenteur d'un DAP, à la réussite d'un examen national et de certains modules supplémentaires. Cette évolution marquerait gain de cause pour tous ceux qui ont refusé l'ouverture vers un diplôme dépassant le niveau du CATP et occasionnerait le ras-le-bol certain pour les équipes d'enseignant-e-s qui, dans le cadre des projets PROF I et II ont œuvré quinze années durant à la mise en place des différentes formations de technicien.
Le texte du document sous revue ne prévoit plus d'examen national pour obtenir le diplôme de technicien, ni pour celui du DAP (ancien CATP). Verra-t-on apparaître des diplômes émis par le lycée technique respectif- autonomie oblige ? Le SEW est opposé à cette régression, qui constitue à nos yeux une dévalorisation de ces diplômes.

4.Les programmes

Les socles de compétences
Appelés à résoudre l'ensemble des problèmes de notre enseignement, les socles de compétences seraient fixés par le ministre, tandis que les commissions nationales élaboreraient les lignes directrices et que les lycées fixeraient le détail des programmes.
Or, nous doutons fort que les lycées disposent des moyens pour accomplir cette tâche !
Par ailleurs, nous ne voyons pas ce qu'on y gagnerait par rapport à la situation actuelle.
Est-il opportun de différencier dorénavant les résultats scolaires suivant le lycée technique respectif ? Saura-t-on éviter une graduation des diplômes ? Nous récusons cette dérive néolibérale de l'enseignement public et nous craignons la dégénérescence vers le chaos !
Au-delà du document considéré ici, la discussion sur les socles de compétences, qui s'étend sur l'enseignement public tout entier, nous interpelle.
D'abord quant au fond.: Le but déclaré d'un référentiel basé sur des compétences est de privilégier les performances des élèves et d'adapter l'enseignement à l'évolution de celles-ci. Les élèves sont amenés à mobiliser un ensemble de ressources (savoir, savoir-faire, savoir être) face à la vie en société ou à la vie professionnelle. Les corollaires en seraient, nous dit-on, une focalisation sur l'élève, un travail plus différencié et plus ciblé - à condition d'en avoir les moyens infrastructurels et surtout personnels -, et une meilleure motivation des élèves.
Encore doit-on se mettre d'accord sur une traduction opérationnelle des compétences à atteindre. Si les branches professionnelles sont un terrain de prédilection pour définir des compétences - notons l'introduction, depuis une dizaine d'années, de référentiels de ce genre dans les formations du CATP et du Technicien - les choses se compliquent au niveau des branches générales. Il existe bien des descriptions de compétences, tel par exemple le profil européen des langues, mais leur mise en œuvre concrète reste énigmatique. Ils se prêtent certes à évaluer les performances d'une personne, mais ils sont très éloignés d'un référentiel opérationnel. Si le niveau B2 du profil européen des langues est caractérisé e.a. comme suit: «Je peux communiquer avec un degré de spontanéité et d'aisance qui rende possible une interaction normale avec un locuteur natif », les difficultés commencent lorsqu'il faut définir les étapes et les méthodes pour développer une telle compétence. Tout ce travail reste à faire - et cela prend du temps et nécessite une expertise dont l'enseignant-e-s ordinaire ne dispose pas. Des socles de compétences qui ressemblent à quelques exceptions près aux tables des matières de nos manuels actuels ne peuvent pas nous faire avancer, ni d'ailleurs des formulations trop vagues.
En d'autres termes: la discussion sur la forme (la mise en œuvre) est tout aussi importante ! Elle englobe
  • l'établissement d'un calendrier précis avec des objectifs intermédiaires clairement définis
  • la mise en place de réseaux de communication pour informer de manière optimale tous ceux et toutes celles qui sont concerné-e-s et pour les convaincre à s'engager
  • la professionnalisation des participant-e-s à l'aide de formateurs et de formatrices compétent-e-s dans la matière
  • une évaluation sérieuse tout au long de la démarche.

A vrai dire, on est bien loin chez nous de réaliser ces conditions essentielles.
Primo, il n'y a eu aucune discussion sur les enjeux de l'enseignement par compétences, notamment pour convaincre les enseignant-e-s, mais aussi pour éviter de faire des erreurs que nos pays voisins sont déjà en train de redresser. La décision politique a été prise par le MEN et les enseignant-e-s sont considéré-e-s comme des exécutant-e-s.
L'action du MEN se réduit à annoncer à cor et à cri qu'il entend « démarrer avec l'enseignement par compétences » en 2008, à faire enrôler par l'intermédiaire des directions des lycées et lycées techniques des coordinateurs et coordinatrices pour les branches linguistiques et autres et de demander à celles et à ceux-ci de réaliser avec leurs collègues un travail de conception pour lequel ils /elles n'ont reçu aucune formation adéquate.
Ni planification, ni formation, ni évaluation: le ministère de l'éducation nationale reste fidèle à lui-même !

L'évaluation des élèves et la promotion
Le document sous revue évoque : « La promotion et la certification finale sont décidées si l'élève maîtrise l'intégralité des compétences essentielles qui constituent le socle de compétences correspondant au cycle ou à la formation. »
Cette phrase importante est en même temps évocatrice des difficultés liées à l'évaluation en rapport avec une compétence. Jusqu'à quel degré la maîtrise doit-elle aller ? Quelles fautes mineures sont permises ? Que signifie « maîtriser à moitié » ? Qu'arrive-t-il si un candidat maîtrise à moitié ? Faut-il qu'il ou elle refasse le module tout entier ou même l’année entière ? Permettra-on dans les parties non modularisées de l'EST des échecs dans plusieurs branches, comme le prévoient les critères de promotion actuels ?

Conclusion
Nullement opposé à adapter notre enseignement aux besoins et demandant à réaliser une plus grande égalité des chances, le SEW ne peut être d'accord avec les grandes lignes de ce document.
Les changements proposés bouleversent les structures existantes -pas optimales, il est vrai- au profit de nouvelles structures irréfléchies et impossibles à gérer avec les moyens du bord, ce qui aboutira sans aucun doute au chaos. Nous y notons d'autre part une dévalorisation manifeste des diplômes conférés par l'EST et nous nous demandons ce qui restera de cet « autre lycée » qui devait motiver les élèves à choisir cette alternative au lycée classique.
Si le document en question évoque l'équité pour faire disparaître les filières dans le cycle inférieur, il se garde bien de créer de vraies classes uniques qui engloberaient forcément les élèves du classique. Comme à plusieurs reprises déjà, l'EST fait figure de terrain d'expérimentation et les changements envisagés risquent de creuser l'écart davantage encore !
Par conséquent, nous exigeons de la part du MEN
  • de procéder à une évaluation sérieuse du projet PROCI avant d'en généraliser les principes à tout prix
  • de rediscuter la structure des trois cycles dans un sens profitable pour l'EST et ses élèves
  • de mettre à plat la discussion sur l'enseignement des compétences, tant au niveau de la forme qu'au fond.


Luxembourg, le 6 octobre 2006