Université du Luxembourg - quels changements en vue? (Journal 4/2009) Guy Foetz

Quelques réflexions sur l'orientation de l'UdL la lumière de l'accord
Une loi d'inspiration foncièrement néo-libérale
Dans son avis sur le projet portant création de l'Université du Luxembourg, le SEW avait estimé en 2003 que le premier objet de l'UdL devrait être la mise en place d'un enseignement universitaire conduisant à des diplômes reconnus et répondant aux besoins professionnels, culturels et intellectuels de la société luxembourgeoise et de sa région. Si le Luxembourg compte parmi les pays avec le moins de diplômés universitaires par tête d'habitant, cela s'explique e.a. par l'absence d'université sur notre territoire avant la loi UdL. Or, les auteurs du projet avaient d'autres visées. Ainsi l'un des représentants du Ministère de l'Enseignement supérieur de l'époque déclarait à l'occasion d'une conférence, organisée par le Conseil syndical interrégional sur la politique universitaire dans la Grande Région: « L'ère de la démocratisation universitaire est derrière nous ! » Et d'ajouter que « 60% des fonds de l'enseignement supérieur sont engloutis dans l'enseignement pour des jeunes de 18-22 ans » et « qu'il est possible de gagner de l'argent en faisant aboutir la recherche vers des brevets enregistrés. De même, l'exposé des motifs portant création de l'Université de Luxembourg « donne la priorité à la recherche pour en décliner ensuite les enseignements.» Nous partageons bien entendu l'idée que la recherche est vitale pour notre pays et nous disons tout autant qu'il faut être attractif pour des chercheurs étrangers. Mais nous voyons la recherche universitaire plutôt comme un corollaire de l'enseignement universitaire. Nous pensons qu'on ne peut faire abstraction du lien nécessaire entre la culture d'une pépinière d'étudiants de deuxième cycle et la recherche - au niveau d'un troisième cycle. Admettre que de prestigieux professeurs et chercheurs vivant actuellement à l'étranger se laisseraient transplanter contre monnaie sonnante dans un désert intellectuel relève de la mégalomanie.
C'est avec satisfaction que nous notons un début de changement d'orientation dans la déclaration gouvernementale au sujet du rôle de l'enseignement supérieur: « Dans la mesure où l'accès à l'enseignement supérieur constitue à la fois un enrichissement personnel et une chance de promotion sociale, l'enseignement supérieur contribuera à l'objectif général du Gouvernement d'accroître le pourcentage de diplômés de l'enseignement supérieur. »
Comme on vient de le noter au début de cet article, la loi portant création de l'UdL fut massivement marquée par l'esprit néolibéral. Ainsi, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche de l'époque caractérisa la loi luxembourgeoise de 1996 sur l'enseignement supérieur comme « la plus moderne en Europe » ; l'accord gouvernemental de 1999 déclarait que « des instituts d'enseignement supérieur étrangers qui sont établis ou comptent s'établir au Grand- Duché seront appelés à jouer un rôle important» et le livre blanc de 2000 de l'enseignement supérieur au G-D de Luxembourg qui servait de base à la loi UdL notait que « l'enseignement supérieur devient une activité commerciale et ... il se crée un marché de l'enseignement supérieur sujet aux règles de la concurrence ».
Il s'entend qu'à l'heure actuelle où la crise économique montre les dérives de l'idéologie libérale, il n'est plus de bon ton d'insister sur cette orientation fondamentale de l'UdL. N'empêche qu'elle ne disparaît pas pour autant, bien au contraire !
Ingérence massive d'intérêts privés
Témoignent de cette orientation, les partenariats avec le privé pour financer de nouvelles chaires, comme la chaire « TDK Europe » dotée de 3,5 millions d'euros sur 5 ans pour payer la rémunération du professeur et de l'équipe de doctorants et de chercheurs post-doctoraux; un programme de bourses de la part d'entreprises américaines installées au Luxembourg finançant un semestre d'études aux Etats-Unis à quelques étudiants inscrits en bachelor à l'UdL; ou encore le contrat signé avec ATOZ, une entreprise spécialisée dans le conseil fiscal, qui autorise cette entreprise à fixer, pendant 5 ans, les travaux de recherche qui seront menés par les étudiants.
Il faut remarquer que la faculté de droit, d'économie et de finance (FDEF) est particulièrement exposée à l'influence des intérêts de l'argent, notamment en relation avec les protagonistes de la place financière. L'expression matérielle de cette influence est la proximité géographique de cette faculté avec les décideurs de la place à Luxembourg-Ville, qui a finalement été actée dans l'accord gouvernmental - au dépens d'un site unique à Belval. La visite du site internet wwwfr.uni.lu/fdef fait apparaître que la FDEF ne cache pas ses ramifications avec le monde de la finance et de l'entreprise privée: y figurent aussi bien la Luxembourg School of Finance (LSF) que la Luxembourg Business Academy (LBA) - à noter la terminologie anglo-saxonne ! Il s'agit là de départements qui d'après la loi de l'UdL peuvent être créés sur proposition du recteur en partenariat avec des partenaires externes. Rappelons l'épisode de la « Luxembourg School of Finance », officiellement créée le 7 octobre 2002, et qui se revendiquait déjà « LSF of the University of Luxembourg », alors que l'Université n'existait même pas encore et que donc aucun recteur n'avait pu proposer un partenariat avec elle ! Quant à la LBA, elle résulte d'un partenariat avec le Chambre de Commerce de Luxembourg et elle offre un « Master in entrepreneurship and innovation (professionnel) ».
L'accord gouvernemental ne met nullement en cause cette orientation, bien au contraire. La mise en place d'une fondation, prévue dans l'accord, permettra sans doute aux entreprises privées de s'y investir davantage en franchise d'impôts.
Simulacre d'autonomie et régime autoritaire interne
La loi instaurant l'UdL se réfère constamment à l'autonomie. Or, que signifie cette autonomie ? Veut-elle dire que le pouvoir de décision émane des professeurs et des chercheurs de l'Université ou au moins que ceux-ci puissent y participer ? Nullement ! C'est le conseil de gouvernance - composé essentiellement de personnalités externes à l'Université, nommées et révocables par le Grand-Duc sur proposition du gouvernement - qui arrête la politique générale et les choix stratégiques, exerce le contrôle et nomme le recteur. L'Université est en fait dirigée par le recteur, qui outre la gestion journalière dispose d'une telle panoplie d'attributions qu'on peut parler d'un pouvoir exorbitant. Les étudiants et le personnel interne représentés au sein du conseil universitaire ne donnent que des avis; parler de liberté académique sous ces conditions équivaut à du cynisme.
Nous disons: en dehors d'un pouvoir de discussion démocratique assuré par le personnel universitaire, l'autonomie n'en est pas une; elle apparaît plutôt comme un moyen d'imposer sournoisement des intérêts extérieurs et d'y inféoder l'Université.
Le rapport d'évaluation externe datant de janvier 2009 exprime dans un jargon feutré mais pourtant assez clair l'absence de démocratie interne (voir l'encadré ci-contre). Ce qui fait que l'accord gouvernemental ne peut éviter d'aborder ce problème en déclarant:
Conditions de travail précaires pour les chercheurs et les vacataires
L'Université du Luxembourg cumule les exceptions au droit du travail normal. Citons les contrats à durée déterminée conclus avec les enseignants-chercheurs, qui peuvent avoir une durée supérieure à 24 mois et qui sont renouvelables plus de deux fois sans être considérés comme contrats de travail à durée indéterminée, ou encore le recours massif à des « enseignants vacataires », auxquels on fait signer une « convention de prestations de services » et qu'on assimile ainsi à des indépendants établissant des factures d'honoraires selon un barème fixé par le conseil de gouvernance. Ce dernier moyen est pleinement mis en oeuvre au niveau des relations contractuelles de l'UdL avec les enseignants-fonctionnaires du secondaire, qui interviennent comme formateurs et formatrices dans le stage pédagogique. L'UdL se soustrait ainsi allègrement à la responsabilité sociale à laquelle est soumis un employeur privé ordinaire dans le cadre du modèle social européen. En effet, de cette façon l'UdL ne paie pas de cotisations sociales patronales; aux « enseignants vacataires » de s'assurer eux-mêmes !
Rien ne figure à ce sujet dans la déclaration gouvernementale de juillet 2009.