Avis du SEW/OGB-L au sujet du projet de loi portant création d'une réserve d'assistants pédagogiques auprès des établissements d'enseignement secondaire et secondaire technique

21.11.2005

A. Les objectifs du projet de loi
Le projet de loi sous revue entend d'une part régulariser la situation d'un grand nombre de chargé-e-s d'éducation à durée déterminée actuellement en service (180 personnes suivant l'exposé des motifs) et il veut d'autre part - à travers son article 4 - créer une deuxième voie de recrutement.
Disons d'emblée que si en principe nous soutenons la régularisation de la situation professionnelle des chargé-e-s d'éducation en place (encore faut-il s'accorder sur les conditions de qualification), nous ne pouvons en aucun cas souscrire à une voie de recrutement parallèle à celle d'enseignant-e-s qualifié-e-s.

B. L'évolution du nombre de chargé-e-s de cours sans qualification dans l'enseignement postprimaire et ses conséquences
L'exposé des motifs du projet de loi évoque une « période de pénurie d'enseignant-e-s » qui serait à l'origine du nombre important de chargé-e-s d'éducation. Or, cette pénurie est largement due au fait qu'au cours des années 1980 et 1990, l'engagement de personnel enseignant dans l'ES et l'EST a eu lieu au compte-gouttes. Un besoin de recrutement massif s'en est suivi, qui trouve actuellement ses limites dans la barrière de l'examen-concours d'admission au stage dressée en 1992. En effet, alors que devant l'afflux d'élèves dans l'enseignement postprimaire et les nombreux départs à la retraite en perspective, le gouvernement a finalement été acculé vers la fin des années 1990 à recruter en plus grand nombre, il s'avère que le nombre de candidat-e-s admis-e-s aux deux sessions annuelles de l'examen-concours reste largement insuffisant. Nonobstant l'échec à l'examen-concours, les candidat-e-s refusé-e-s continuent généralement à enseigner comme chargé-e-s de cours sans formation pédagogique ! Parallèlement, de nombreuses personnes, qui n''ont même pas la qualification initiale nécessaire sont engagées en grand nombre.
Le rapport général de planification des besoins en personnel enseignant de l'enseignement postprimaire de 2005/2006 à 2009/2010, paru en juillet 2005, note que
- « la quantité de chargé-e-s à durée déterminée est en constante augmentation » ;
- « en deux ans, le nombre de leçons d'enseignement prestées par des employés à durée déterminée a augmenté de 36,5 % ».
D'après les informations du MEN, 170 nouveaux et nouvelles chargé-e-s d'éducation ont été engagé-e-s en automne 2005 !
Etant donné que ce personnel ne dispose souvent pas de la qualification initiale suffisante et qu'il n'obtient actuellement aucune formation pédagogique mis à part un accompagnement plus que sommaire, la qualité de l'enseignement postprimaire public est en souffrance. Le risque d'une perte de qualité substantielle est particulièrement grave pour l'enseignement secondaire technique qui se trouvera confronté au cours des 10 prochaines années aux mutations vers l'ES, de très nombreux et nombreuses enseignant-e-s pour remplacer les professeurs qui partiront en retraite du côté de l'enseignement classique.

C. Un projet de loi dépassé par les événements
Le présent projet de loi constitue la troisième action de régularisation de chargé-e-s de cours dans l'enseignement postprimaire en l'espace de 17 ans.
Les deux premières actions du genre datent respectivement de 1988 et de 1997, celle de 1997 ayant substantiellement détérioré les conditions de travail et de rémunération des chargé-e-s de cours, appelé-e-s depuis lors « Chargé-e-s d'éducation ».
Le MEN a élaboré en 1997 deux règlements grand-ducaux parallèles, l'un fixant, pour les chargé-e-s de cours en place, « les modalités d'engagement et les conditions de travail de deux cents chargés d'éducation à durée indéterminée », l'autre fixant pour les futur-e-s chargé-e-s d'éducation les même modalités et conditions, mais pour des contrats de travail à durée déterminée. Or, ledit « règlement pour les 200 chargés de cours », entré en vigueur en juillet 1997, n'a guère été appliqué sauf pour trois chargé-e-s de cours qui ont choisi cette voie de régularisation de leur situation. Tout-e-s les autres chargé-e-s de cette époque (au total 222) ont en effet eu gain de cause en juin 1997 devant le Tribunal administratif pour vice de forme de leur contrat à durée déterminée. Le MEN a par conséquent dû les engager à durée indéterminée aux anciennes (=meilleures) conditions figurant dans leurs contrats à durée déterminée, et cela sans pouvoir leur demander de suivre une formation continue obligatoire.
Depuis lors, le MEN n'a guère tiré les leçons du jugement du tribunal administratif et il a continué à appliquer une politique massive d'embauche parallèle de personnel insuffisamment formé. De nouveaux et nouvelles chargé-e-s de cours ont été amené-e-s à signer des CDD à répétition, cette fois d'après les conditions du « Règlement grand-ducal du 27 juillet 1997 fixant les modalités d'engagement et les conditions de travail des chargés d'éducation à durée déterminée des lycées et lycées techniques publics ». Ce qui amenait le SEW à écrire en octobre 1997 :
« Une deuxième génération de chargé-e-s de cours, appelé-e-s cette fois 'chargé-e-s d'éducation à durée déterminée' est déjà en train de surgir dans les lycées; le récent verdict du tribunal administratif en faveur des ancien-ne-s 'chargé-e-s de cours', n'a pas servi de leçon ! A quoi sert alors une réforme du stage pédagogique, si du personnel non formé est parallèlement recruté en masse ? »
La nouvelle vague de régularisations de 180 chargé-e-s d'éducation annoncée dans l'exposé des motifs du présent projet de loi va de pair avec un nouveau verdict de la Cour administrative datant du 7 juin 2005 et sanctionnant la politique des contrats à durée déterminée à répétition, cette fois-ci quant au fond. Ce jugement en dernière instance dénonce l'absence d'objet dans le contrat à durée déterminée incriminé et il évoque en même temps la conformité nécessaire de cet objet avec l'esprit de la loi sur le contrat de travail. Cette loi considère en effet qu'un CDD ne peut être conclu que pour exécuter une tâche précise et non durable. Comment pourrait-on alors soutenir qu'un-e chargé-e d'éducation qui assure 3 à 4 années de suite le même cours exécute une tâche non durable ? Voici que la dérogation au code du travail ordinaire contenue dans la loi du 5 juillet 1991, suivant laquelle les CDD conclus entre l'Etat ou la commune d'une part et le chargé de cours d'autre part, peuvent être renouvelés plus de deux fois, devient inopérante. Or, c'est sur cette dérogation qu'est basée toute la politique des CDD à répétition du MEN à l'égard des chargé-e-s d'éducation.
Suite à ce verdict, le chargé d'éducation ayant eu gain de cause devant le Tribunal administratif vient d'avoir un contrat à durée indéterminée; 145 chargé-e-s d'éducation en place sont dès à présent engagé-e-s dans une procédure identique et devront être traité-e-s de la même façon.
Nous estimons dès lors qu'à l'instar du « règlement grand-ducal du 27 juillet 1997 fixant les modalités d'engagement et les conditions de travail de 200 chargés d'éducation à durée indéterminée des lycées et lycées techniques publics », le projet de loi soumis à notre avis est déjà dépassé par les événements. Nous invitons Madame la Ministre de l'Education Nationale à retirer ce texte de la procédure législative et à profiter de l'occasion pour concevoir, ensemble avec les syndicats d'enseignant-e-s, une politique de recrutement de personnel enseignant qualifié qui tienne la route.

D. Nos amendements au sujet des articles du projet de loi
Au cas où contre toute attente de notre part, le projet de loi sous revue serait maintenu, nous proposons d'amender le texte comme suit.
Art. 2 Modifier le premier paragraphe: « Peuvent être engagés en qualité d'assistants pédagogiques sous le statut de l’employé de l'Etat à durée indéterminée, les chargés d'éducation engagés à durée déterminée en service au premier janvier 2005 dans les lycées et lycées techniques publics, …, qui satisfont aux conditions suivantes: »
Art. 3 Modifier comme suit: La tâche hebdomadaire normale de l'assistant pédagogique se compose d'une tâche d'enseignement fixée à l'équivalent de vingt-deux leçons.
Art. 4 Biffer cet article; il pourvoit à la création d'une deuxième voie de recrutement parallèle d'enseignant-e-s pour l'enseignement postprimaire.
Art. 5 Modifier comme suit: « Conformément aux dispositions de l'article 2, paragraphe 1er, point 4, les chargés d'éducation à durée déterminée des lycées doivent suivre avec succès la formation du stage pédagogique des enseignants de l'enseignement postprimaire.
Art. 11 Biffer cet article: nous sommes d'avis que chaque enseignant-e doit disposer d'une formation pédagogique sérieuse.
Art.14 Biffer cet article.
Quant à l'engagement de nouveaux chargés de cours, il convient de stopper net cette pratique néfaste pour la qualité de l'enseignement. Suite au récent jugement du Tribunal administratif, il s'avère une fois de plus qu'une politique de personnel avec des CDD à répétition conduit implacablement à de nouvelles régularisations forcées de personnel non qualifié.

E. Idées pour une réorganisation de la politique de recrutement et de formation pédagogique des enseignants du postprimaire
Pourvoir actuellement à un recrutement suffisant d'enseignant-e-s qualifié-e-s n'est pas une tâche facile, nous en sommes bien conscient-e-s. L'expérience des dernières années nous apprend pourtant:
- que les nombreux échecs aux épreuves de langues préliminaires et à l'examen-concours d'admission au stage ne permettent même pas d'atteindre le nombre de postes d'enseignant-e-s inscrit dans le programme gouvernemental
- que nombre de chargé-e-s d'éducation sont des enseignant-e-s n'ayant pas réussi le concours d'admission et n'accédant pas à une formation pédagogique
- que la pratique des CDD répétitifs n'est plus tenable, étant donné qu'elle conduit à des régularisations forcées sans formation pédagogique (en surplus d'une formation disciplinaire initiale souvent incomplète).

Il en découle pour nous un certain nombre de propositions :

1. Rendre les épreuves de langues et le concours d'admission au stage plus transparents !
Depuis 2001, le SEW réitère ses propositions quant à la transparence des épreuves de langues et de celles du concours d'admission au stage :
- fixer clairement les objectifs et les critères d'évaluation tant des épreuves de langues que de celles du concours de recrutement dans la spécialité des candidat-e-s et les rendre apparents afin d'informer les candidat-e-s de ce qu'on leur demande;
- demander aux jurys de motiver leur décision par écrit et communiquer cette décision motivée aux candidat-e-s;
- recruter les membres des jurys du concours par voie d'annonces officielles à afficher dans tous les lycées et lycées techniques et composer les jurys sur base de critères connus d'avance et vérifiables.

2. Suspendre le volet « examen » du concours d'admission au stage pédagogique:
Il convient à notre avis de revenir sur l'article 10 alinéas 2 et 5 du règlement grand-ducal du 22 septembre 1992 ayant transformé le concours de recrutement en examen-concours, afin de permettre de recruter au moins le nombre d'enseignante-e-s inscrit dans le budget.
Actuellement, les candidat-e-s refusé-e-s à l'examen-concours se retrouvent, contre toute logique, le lendemain de leur refus, comme chargé-e-s de cours devant leurs classes et, qui de plus est, à raison de 24 leçons par semaine. Leur échec au concours, équivalent à un certificat d'incompétence ne devrait-il avoir pour conséquence de mettre fin à leur contrat de chargé-e de cours ? Il n'en est rien: faute d'enseignant-e-s qualifié-e-s, on les autorise à continuer d'enseigner et à décider de la promotion des élèves, tout en leur barrant le chemin vers une formation pédagogique !
Dans le programme de recrutement arrêté par le gouvernement, les nombres d'admissions suivants sont prévus: 2005/2006: 185; 2006/2007: 190, 2007/2008: 195; 2008/2009: 200; 2009/2010: 200. Ces chiffres resteront une pure fiction en dehors d'un changement au niveau des méthodes de recrutement.

3. Organiser les épreuves de langues entre le 15 et le 30 juillet et le concours d'admission au stage entre le 1er et le 15 septembre
L'organisation des épreuves de langues et du concours d'admission au stage au cours du 1er trimestre de l'année scolaire constitue un double problème: d'une part, elle génère tous les ans l'engagement de nouveaux et nouvelles chargé-e-s de cours, qui, une fois installé-e-s dans les lycées et lycées techniques avec un contrat à durée déterminée, ne les quittent plus, malgré leur échec éventuel au concours. D'autre part, l'entrée au stage constitue un casse-tête pour les directions des établissements: redistribution des cours et nouveaux horaires pour le personnel.
L'organisation des épreuves d'admission au stage avant le début de l'année scolaire et le début du stage lors du premier trimestre couperait court à de nouvelles générations de chargé-e-s de cours et éviterait la réorganisation des classes et des horaires au début du deuxième trimestre.

4. Augmenter substantiellement le nombre de stagiaires à recruter et arrêter net le recrutement de chargé-e-s de cours non qualifié-e-s
Le scénario choisi par le gouvernement dans le programme de recrutement est le scénario intermédiaire qui tend à maintenir le statu quo au niveau de la pénurie d'enseignant-e-s. Il ne la résorbe pas. Rien que pour compenser le recrutement insuffisant des dernières années (du fait de l'examen-concours) par rapport au programme budgétaire prévu, il faudrait admettre davantage de stagiaires au cours des années prochaines.
Le dernier rapport de planification, paru en juillet 2005 note (p.44): « Un recrutement supérieur aux chiffres indiqués [cf. ci-dessus: 185, 190, 195, 200, 200] est donc justifié … ».

5. A défaut d'enseignant-e-s dans une matière, en admettre davantage dans une branche proche
A titre d'illustration: à défaut de mathématicien-ne-s, un recours aux physicien-ne-s pourrait être envisagé.

6. Rendre le stage pédagogique attractif
Le stage pédagogique, qui est fort heureusement revenu sous la compétence du Ministère de l'Education nationale constitue la pièce maîtresse de la formation pédagogique des enseignant-e-s du postprimaire. Il en résulte un certain nombre de revendications de la part du SEW :
a) Le MEN doit établir un cahier des charges à l'encontre du Département de formation pédagogique de l'Université du Luxembourg.
Voici les revendications que notre syndicat aimerait voir figurer dans ce cahier des charges
- la formation des tuteurs et tutrices (qui est à présent entamée) ;
- une meilleure interaction entre la théorie enseignée au CUNLUX et la pratique mise en œuvre au niveau du tutorat dans les lycées et lycées techniques ;
- la définition de critères de qualification concrets pour les formateurs et formatrices ;
- la collaboration scientifique entre les différent-e-s formateurs et formatrices sous l'égide d'un groupe de pilotage du département de formation pédagogique de l'UdL, afin d'améliorer et de mieux structurer la formation pédagogique;
- l'archivage des travaux remis par les stagiaires en vue d'une exploitation des résultats de leurs pièces et mémoires au profit de l'enseignement luxembourgeois ;
- l'évaluation périodique des objectifs et des performances de la formation pédagogique.
b) Il faut faire concorder les objectifs et critères de cette formation avec ceux des épreuves de la période probatoire, dont l'organisation incombe aussi à nouveau au Ministère de l'Education nationale. Même si les objectifs et critères de la période probatoire ont été partiellement réadaptés; il reste à garantir que les membres des jurys en question soient bien au courant de la formation pédagogique des candidat-e-s qu'ils auront à évaluer.
c) L'article 19 du règlement grand-ducal qui organise la formation pédagogique théorique et la période probatoire doit être réécrit dans un sens plus favorable pour les stagiaires. Cet article prévoit qu'un stagiaire ajourné ou refusé est renvoyé à la session suivante et que s'il n'y est pas admis, il est écarté du stage. Etant donné que la session suivante a lieu dans les trois mois qui suivent et qu'aucune mesure de remédiation n'est prévue pour aider le stagiaire concrètement à surmonter ses difficultés, nous jugeons cette réglementation inadmissible d'un point de vue humain et en plus contreproductive d'un point de vue économique. Peut-on s'imaginer en effet qu'une entreprise privée licencierait pratiquement à la première occasion un de ses employés pour lequel elle a dépensé plus de 80.000 € en frais de formation ? D'où notre plaidoyer pour une réforme rapide de cette disposition.
d) L'article 39 de la loi portant création de l'Université du Luxembourg est inopportun.
Il prévoit l'obligation pour un-e « enseignant-e vacataire » d'être employ-é-e à plein temps auprès d'un autre employeur. Cela revient non seulement à réduire le choix du Département pédagogique de l'UdL aux personnes disposées à fournir des heures supplémentaires et à penser -curieusement - qu'une personne fournirait un meilleur service après les 40 heures de travail hebdomadaires légales. Cela consiste aussi à promouvoir par voie légale la prestation d'heures supplémentaires au niveau d'une institution certes privée, mais financée majoritairement par les deniers de l'Etat, alors que les autres employeurs privés sont incités par la loi PAN à limiter cette pratique. Cela équivaut enfin à interdire à toute personne qui travaille à temps partiel, l'accès à la fonction d'« enseignant-e vacataire », alors que le travail à temps partiel est une pratique sociale répandue et que la possibilité de travailler à temps partiel se trouve à présent ancrée dans le statut des fonctionnaires. Par conséquent, nous souhaitons que cette règle nuisible pour l'UdL, contraire à la législation ordinaire, et anachronique par rapport au développement actuel des usages sociaux, soit éliminée à la prochaine occasion de la loi portant organisation de l'UdL.
e) Il faut entamer la discussion sur l'équivalence de la formation pédagogique des enseignant-e-s du postprimaire avec un premier échelon (bachelor) du diplôme de master en sciences de l'éducation.

Luxembourg, le 7 octobre 2005 SEW/OGB-L