Le métier d’enseignant: un cas de conscience?

05.07.2018

Le métier d’enseignant: un cas de conscience?



patrick_arendt_journal.jpgLa mise en oeuvre des réformes structurelles de l’enseignant selon les principes du « New Public Management » (NPM) ont amené des changements radicaux de la fonction et des missions de l’enseignant.

L’enseignant qui a choisi son métier pour aider tous les enfants, pour soutenir surtout les enfants faibles, pour assurer une égalité des chances, doit se rendre à l’évidence que l’école publique n’est dorénavant plus en mesure d’atteindre ces objectifs. L’ascenseur social reste coincé.

La réduction massive des postes au fondamental (plus de 10 000 leçons hebdomadaires d’enseignement supprimées depuis l’introduction du contingent en 2009) a contraint les écoles à augmenter les effectifs de classe et à abolir parallèlement la quasi-totalité des mesures d’appui, destinées aux enfants les plus faibles, souvent issus de milieux moins favorisés. Les enseignants spécialisés, annoncés par le ministre comme remède miracle, sont absorbés par une bureaucratie foisonnante et ne peuvent que très peu intervenir sur le terrain. A la réduction des moyens les enseignants ont répondu dans un premier en augmentant leur temps de travail. Malheureusement, ils ont dû comprendre qu’ils ne sont plus en mesure de compenser le manque d’effectifs.

La hiérarchisation de la fonction, à l’image des nouvelles directions qui tentent à tout prix d’imposer leur autorité, n’est d’aucune aide aux enseignants. Au contraire, les enseignants se retrouvent de plus en plus déresponsabilisés ce qui entraîne une perte d’autorité par rapports aux partenaires scolaires. L’enseignant se voit de plus en plus réduit à un simple exécutant. L’objectif principal du stage d’entrée à la fonction semble devenir l’apprentissage à la soumission et l’acceptation de la dépendance face à de multiples autorités.

L’individualisme et la concurrence sont les nouveaux leitmotivs de l’enseignement selon les principes du NPM. Dès le jeune âge les enfants apprennent à se considérer comme concurrents lors d’une chasse aux diplômes. La scolarité est un projet personnel individuel où il faut obtenir plus de diplômes et des diplômes mieux réputés que tous les autres pour augmenter ses chances sur le marché du travail. L’employabilité est l’objectif principal de l’école. Les valeurs culturelles, l’éducation à la citoyenneté et les valeurs humaines ont perdu toute importance. Elles sont souvent considérées comme perte de temps.

Ainsi les enseignants sentent une aliénation, non seulement par rapport à leur activité, mais aussi par rapport aux élèves, à leurs besoins et leurs aspirations. Beaucoup d’élèves sont ainsi perçus comme menace potentielle qui à tout moment par leur comportement non conforme peuvent rendre la tâche de l’enseignant encore plus difficile voire impossible. L’enseignant est conscient que souvent il ne peut plus répondre convenablement aux besoins des enfants.

L’individualisation du parcours scolaire, considérée à tort comme une chance pour l’enfant d’apprendre à son rythme a remplacé l’apprentissage en commun. Dorénavant les enfants issus d’un milieu social aisé et mieux cultivé profiteront entièrement de leur avantage au début de leur scolarité pour devancer rapidement les enfants issus de milieux sociaux moins favorisés dans la course aux meilleurs diplômes.

Les valeurs jadis élémentaires de l’école, d’apprendre ensemble dans un projet commun où les enfants les plus forts aident les plus faibles, dans un esprit de solidarité, sont abolies.

Les enseignants prennent de plus en plus conscience qu’ils sont en train de figer les inégalités sociales parce qu’ils ne sont plus en mesure de pouvoir répondre aux besoins de tous les enfants. Ils font l’expérience qu’il y a de plus en plus d’enfants qui dès les débuts de leur scolarité n’ont aucune chance de réussir et qui ne feront qu’accumuler leurs retards au fil des années.

Malgré les discours officiels des responsables politiques, le système scolaire n’est plus à même de réduire les inégalités sociales, mais au contraire il va les accentuer et les figer davantage. Les enseignants en sont bien conscients. Les appels émanant des enseignants du terrain ne trouvent pas de réponse adéquate, au contraire on essaye par tous les moyens de les faire taire.

Est-ce que les enseignants vont accepter de devenir le rouage d’un système qui menace la cohésion sociale?

Par sa campagne contre la privatisation et pour une école publique favorisant les ascensions sociales, l’OGBL a repris une lutte qu’on avait cru gagnée par le passé, mais qui redevient aujourd’hui plus urgente que jamais.