Monologues stériles
Monologues stériles
DIALOGUE (latin dialogus, du grec dialogos) • Discussion entre personnes, entre partenaires ou adversaires politiques, idéologiques, sociaux, économiques, en vue d’aboutir à un accord (Larousse) • Comme toutes communications, le dialogue comprend au minimum un émetteur et un récepteur. Cependant, le dialogue se distingue dans le processus qui unit ces deux protagonistes. Alors que la donnée émise est le message, le but du message est l’objectif de la communication ; dans un dialogue véritable, le but n’est donc pas le sujet de l’énoncé, il ne s’agit pas d’avoir raison du récepteur ni de lui imposer un point de vue cognitif, une perspective ou référence. Ainsi, par un code constituant un langage qui peut être verbal ou non verbal, une parole est contenue dans le message et transmise dans la communication,afin d’être décodée et reçue par le destinataire, puis de lui signifier quelque chose qui a du sens dans sa propre existence. Le dialogue appelle donc à ce que les acteurs de la communication soient transformés dans leur être, en toute liberté ; l’écoute active, l’humilité sincère et le respect mutuel y sont donc nécessaires (Wikipedia)
Le mandat du ministre actuel de l’Éducation est marqué par une absence totale de dialogue avec les enseignants. Cette peur du dialogue avec les partenaires semble d’ailleurs être un trait caractéristique commun à tout le gouvernement présent.
S’il n’existe pas de dialogue digne de ce nom, ni avec les enseignants, ni avec les représentants des parents, le ministère a énormément investi dans son dispositif de communication et fournit des efforts considérables pour contrôler le flux d’informations du système scolaire vers le public. De plus en plus, les publications s’apparentent à des tracts de propagande ayant pour objectif principal de promouvoir la politique du ministre et d’en vanter les mérites.
Le ministère veille également très attentivement à rester le seul à fournir des informations à la presse. Les enseignants ont été bâillonnés et n’ont le droit de s’adresser aux représentants des médias qu’avec une autorisation préalable de leur supérieur. Le ministre veut ainsi contrôler à tout prix l’opinion publique et éviter discussions et débats sur la place publique des problèmes du système scolaire.
Ainsi les nombreuses difficultés liées aux mesures imposées unilatéralement n’apparaissent que rarement dans la presse. Par contre, le ministre qui ne fuit jamais les projecteurs se limite à présenter sa version, forcément très positive, de la situation dans les écoles.
Cette divergence entre la situation réelle et celle présentée par le ministre ainsi que l’absence totale de dialogue avec les acteurs du terrain est une cause majeure d’une aliénation des enseignants de leur fonction.
Les enseignants constatent que denombreux problèmes qu’ils rencontrent auquotidien sont occultés pour ne pas ternir la politique scolaire actuelle.

Les enseignants sont souvent en désaccord avec les mesures prises et relèvent leur inefficacité dans les salles de classe, mais leurs suggestions et critiques netrouvent apparemment pas d’écoute. Il s’en suit un sentiment de démotivation et de frustration qui à moyen terme risque d’avoir des répercussions néfastes sur leur engagement et leur travail.
La crise actuelle du Covid-19 a dévoilé au grand jour cette absence de dialogue et le ministre a bien senti la pression de la part du public. Sa manière de gouverner, pour ne pas dire de régner sur l’Éducation, a été fortement critiquée.
Les dernières semaines le ministre a donc adapté sa stratégie. Afin de pouvoir annoncer la consultation préalable des syndicats, il y a eu quelques conférences vidéo avec les représentants de tous lessyndicats. Et contrairement à son habitude, il ne s’est plus limité à promouvoirses mesures quelques heures avant leur annonce dans la presse, mais il a même, très timidement certes, demandé des avis aux syndicats mais sans pour autant dévoiler ou discuter sa stratégie pour le déconfinement des écoles.
Or ces avis et opinions n’ont pas mené à une réelle discussion sur la stratégie à adopter. Fidèle au slogan annoncé, le ministre s’est limité finalement à « être à l’écoute ». A ce jour, toujours aucune réunion des représentants des partenaires scolaires autour d’une même table (même virtuelle) pour développer ensemble et en toute transparence les lignes directrices des mois à venir.
L’absence en amont de l’annonce des sujets de discussion fait ressembler toute rencontre avec le ministre à une pochettesurprise : En découvrant les thèmes à aborder le moment même, une discussion de fond n’est guère possible et on reste donc très loin d’un vrai dialogue.
Entre les enseignants et les responsables du ministère, le clivage s’accentue. Les enseignants se voient contraints de mettre en oeuvre contre leur gré des mesures qui ne leur semblent pas appropriées, pire même, qui vont envers leurs valeurs pédagogiques et professionnelles : Le « Nous » utilisé par le ministre dans l’une de ses conférences de presse ne dupe plus personne. C’est une formule creuse utilisée en management pour galvaniser les troupes. Rappelons qu’il existait auparavant une culture de dialogue entre les décideurs politiques, les représentants de la hiérarchie, les syndicats et les enseignants (à l’époque il n’y avait guère d’organisation des représentants des parents d’élève) au sein de l’Éducation.
Ainsi la ministre précédente débutait le processus de la mise en oeuvre de la loi scolaire du fondamental (2009) par une consultation accentuée des syndicats qui présentaient leurs principales revendications et donnaient un premier avis sur l’orientation prévue de la nouvelle loi. L’élaboration se faisait en toute transparence et la rédaction des premiers textes était accompagnée de nombreuses consultations et réunions avec des discussions souvent très animées, mais d’autant plus fructueuses. Il s’agissait de trouver un consensus avec tous les acteurs de l’Éducation. Pendant cette période, dans de nombreuses écoles des enseignants se réunissaient à leur propre initiative, pour rédiger des propositions.
Le résultat final était considéré comme un travail commun et trouvait donc facilementle soutien et l’appui des enseignants qui s’affairaient à mettre la nouvelle loi scolaire en oeuvre. Rappelons que le concept de la cogestion était un des sujets litigieux à l’époque où finalement la ministre avait adopté la position des comités d’école existants déjà à l’époque.
Bien entendu et aussi à cette époque, certains articles et dispositions de la loi n’avaient pas trouvé l’accord complet des syndicats. Mais tous étaient conscients qu’il fallait trouver un consensus.
Rappelons en même temps la rédaction du document «Demain l’école», fruit d’un colloque organisé à l’époque du ministre Fischbach par les inspecteurs de l’école primaire. Les inspecteurs, contrairement aux directeurs régionaux actuels, ne se voyaient pas comme « manager » de l’école avec une mission limitée aux seuls sujets de l’organisation, mais ils se considéraient avant tout responsables des sujets pédagogiques.
De nos jours, on reste pourtant très loind’une telle approche. Le fossé qui sépare les enseignants du responsable politique ne cesse de croître. Le fait que les mesures et dispositions gérant l’Éducation nationale soient en règle générale publiées par voie de communiqué ou conférence de presse n’est pas du tout apprécié par les enseignants, d’autant plus que toutes les informations vont à sens unique top down et que les directions régionales – elles-mêmes souvent prises au dépourvu - se retrouvent bon gré, mal gré à rabâcher la voix de leur maître.
Si tous les experts sont unanimement d’accord que l’engagement, la motivation et le savoir-faire des enseignants sont les facteurs clés de la qualité de l’enseignement, il faudra au plus vite rétablir un vrai dialogue entre tous les acteurs et partenaires de l’école.
Avec le retour à une organisation scolaire « normale », la crise du Covid ne sera pas terminée. Pour éviter des conséquences dramatiques surtout pour les élèves des couches sociales défavorisées, il faudra un effort commun des décideurs et des enseignants.
Réunissons-nous enfin autour d’une table et que le vrai débat commence !
Patrick Arendt