Avis du SEW/OGBL sur le projet de loi portant réforme du passage du fondamental vers le secondaire

Projet de loi N°6985
Projet de loi modifiant la loi modifiée du 6 février 2009 portant organisation de l’enseignement fondamental
Avis du SEW/OGBL
Considérations générales
Le SEW/OGBL, reconnu comme syndicat représentatif de l’enseignement fondamental, n’a pas été consulté par le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse. Le présent avis est soumis à la Commission parlementaire de l’Education.
La procédure d’orientation actuelle
Le SEW/OGBL est d’avis qu’une réforme de la procédure actuelle d’orientation de l’enseignement fondamental vers l’enseignement secondaire s’imposait.
Lors de la réforme de la loi scolaire en 2009, il était clair que la procédure en vigueur depuis 1996 n’était plus en phase avec le nouveau système d’évaluation introduit dans l’enseignement fondamental avec la loi de 2009. Le rôle et la responsabilité des parents lors du choix d’un ordre d’enseignement et d’une école devaient trouver une nouvelle définition. La procédure d’orientation devenait de plus en plus chronophage et accaparait le temps des élèves et des enseignants au détriment des apprentissages prévues par le plan d’études pour le cycle 4.
Certains outils de la procédure, comme notamment les épreuves standardisées destinées plutôt à une comparaison des performances des élèves entre eux qu’à une orientation tenant compte des exigences des différents ordres d’enseignement sont inappropriés dans le cadre d’une orientation des élèves. De surcroît et à la suite de fuites et de prises de position malencontreuses du ministre de l’Education nationale, ces épreuves étaient de plus en plus perçues comme un examen de passage vers l’enseignement secondaire.
Or en 2009, la réforme de la procédure d’orientation fut reportée, car les acteurs scolaires, syndicats des enseignants, inspecteurs du fondamental et directeurs des lycées du secondaire, n’ont pu trouver de consensus sur une nouvelle procédure à soumettre à l’avis des représentants des parents d’élèves.
Analyse des principaux défauts de la procédure actuelle
Remarque préliminaire :
La procédure actuelle est appelée procédure d’orientation. Or, la décision finale prise par le conseil d’orientation se base essentiellement sur les résultats scolaires et les résultats aux épreuves standardisées. Seuls les meilleurs élèves sont admis au secondaire classique, alors que les autres sont admis au secondaire technique s’ils ont atteint le niveau de compétences requis pour la fin du cycle 4 de l’enseignement fondamental. La procédure, dite d’orientation, est donc à considérer comme une procédure de sélection, car aucune orientation positive vers l’enseignement secondaire technique n’est envisagée.
Les acteurs de la procédure
- Les élèves:
Tout en étant les principaux concernés de l’orientation, les enfants ne sont pas nécessairement impliqués : leur avis n’est pas explicitement demandé et leur participation aux réunions des parents avec le titulaire de classe n’est pas obligatoire.
Selon le milieu et selon le niveau général des leurs résultats scolaires les élèves peuvent se retrouver dans une situation très stressante qui s’étire sur une voire deux années scolaires. Vu l’importance de la décision pour leur carrière scolaire, la pression exercée sur les enfants peut être très importante. - Les parents :
Les parents émettent leur avis sur l’orientation de leur enfant après concertation avec les titulaires de classe. Ils sont conseillés également par un psychologue s’ils ont opté pour la participation de leur enfant aux tests psychologiques facultatifs.
Les parents ne peuvent participer aux délibérations du conseil d’orientation. Ils ne connaissent pas l’identité des enseignants du secondaire et en principe, ils n’ont pas de contact avec l’inspecteur de l’arrondissement.
Beaucoup de parents éprouvent le conseil d’orientation comme une sorte de boîte noire imprévisible qui tranchera sur l’avenir de leur enfant et en ressentent une certaine impuissance. - Le/les titulaire(s) de classe :
Il accompagne l’enfant dans ses apprentissages et connaît ses forces et ses faiblesses.
Il évalue les performances de l’enfant par des tests réguliers au cours du cycle 4. Il présente les données aux parents et aux membres du conseil d’orientation. À côté du psychologue qui présente aux parents les résultats des tests psychologiques, le titulaire de classe est le seul interlocuteur qui peut informer les parents sur les compétences de leur enfant. Néanmoins, on lui interdit d’émettre son avis sur l’orientation en lui demandant d’attendre la décision du conseil d’orientation. Cette injonction est souvent perçue par les parents comme un manque d’autorité. - Les autres membres de l’équipe pédagogique :
Une bonne équipe pédagogique constitue une ressource importante pour le titulaire de classe en cas de doute sur l’orientation d’un élève. Souvent dans ces cas l’avis des collègues ayant eu des cas similaires est demandé. L’expérience collective de l’équipe est alors sollicitée pour faire le meilleur pari sur le développement futur des compétences des élèves qui sont considérés comme des cas limites. - Les membres du conseil d’orientation :
Normalement le titulaire de classe présente les enfants aux autres membres du conseil d’orientation qui sauf cas exceptionnel ne les connaissent pas personnellement, mais doivent juger sur dossier. Comme les nouveaux bilans intermédiaires et fin de cycle ne contiennent pas assez d’informations pertinentes pour les enseignants du secondaire ceux-ci se basent souvent uniquement sur les performances des enfants dans les épreuves standardisées. Or, celles-ci rendent une image partielle des performances des enfants, car elles ne tiennent compte que d’une situation unique, elles privilégient les capacités de compréhension face aux capacités d’expression, elles ne tiennent compte que d’une partie congrue des apprentissages réalisés au cours de l’école fondamentale et elles n’ont qu’une force de prédiction limitée sur l’évolution de l’élève dans l’enseignement secondaire. Afin de compenser le manque d’information sur les capacités d’expression des élèves les enseignants du secondaire lisent parfois encore l’une ou l’autre rédaction des enfants, mais comme le temps qui est réservé à ces échanges d’informations est limité ils se limitent souvent à lire la rédaction écrite dans le cadre des épreuves standardisées parce qu’elle leur semble écrite dans des conditions comparables et parce qu’ils peuvent alors comparer à des écrits produits dans d’autres classes, alors que pour certains élèves c’est loin d’être le meilleur écrit qu’ils ont produit (certains sujets inspirent plus ou moins certains élèves). L’inspecteur préside le conseil d’orientation et il fait souvent confiance à l’enseignant, surtout quand il connaît bien ses écoles et quand il sait comment il travaille. Il prend alors également en considération les bilans des élèves ou les tests qu’ils ont fait au cours de l’année. Souvent un enseignant expérimenté arrive à donner une image assez précise de l’élève, fort de son expérience et de la connaissance approfondie qu’il a des compétences de l’enfant il emporte alors l’adhésion du conseil d’orientation sur sa proposition d’orientation, mais pour les cas limite, là où il doute lui-même, le conseil d’orientation n’est pas d’un grand secours.
Ainsi cette procédure assez lourde où les différents acteurs se voient à plusieurs reprises pour s’informer des résultats des élèves, où ces derniers sont examinés de diverses façons, où beaucoup de documents sont produits et consultés, ne fonctionne en fin de compte pas sérieusement pour les cas limites où les performances de l’enfants sont atypiques et ne rentrent pas dans les moules.
Analyse des avantages et des désavantages du projet de loi 6985
Les avantages :
- Le projet cherche à réduire la lourdeur de la procédure et on peut saluer le fait que les cas évident sont d’office écartés de la procédure dès lors que le titulaire de classe et les parents de l’enfant se mettent d’accord sur l’orientation correspondant le mieux aux compétences de l’enfant.
- Le titulaire de classe a la possibilité de communiquer aux parents dès la fin de la première année du cycle 4 quelles sont ses réflexions sur les performances de l’élève et vers quel ordre d’enseignement il faudrait l’orienter, sauf changements importants dans la façon de travailler de l’enfant, ce qu’il ne faut jamais exclure car au cycle 4 nombre d’enfants entrent en puberté, ce qui peut provoquer une prise de conscience plus aigue de leur situation d’apprentissage et un revirement dans leur comportement et de leurs méthodes de travail. L’autorité de l’enseignant et sa crédibilité face aux parents s’en trouvent renforcées, ce qui est une bonne chose face à la procédure actuelle.
- Les professeurs et les instituteurs de l’enseignement secondaire qui interviennent encore dans la procédure sont ceux qui ont opté pour une tâche d’enseignant-orienteur et qui devraient de ce fait posséder une vue plus complète des différentes filières de qualification possibles pour l’orientation des élèves.
Les désavantages :
- Afin d’éviter la comparution devant la Commission d’orientation, le titulaire de classe est condamné à se mettre d’accord avec les parents de ses élèves. Cela peut s’avérer fructueux dans bien des cas, mais cela peut aussi permettre aux parents d’élèves d’exercer une énorme pression sur le titulaire afin d’obtenir l’orientation de leur choix au détriment des arguments bien fondés du titulaire.
- Qui pourra garantir que le titulaire de classe ne se résigne pas en fin de compte à adopter les arguments des parents, surtout si ces derniers ont une formation universitaire et une certaine influence dans la société. Le titulaire de classe qui se résigne à accepter l’avis des parents, non seulement parce qu’il n’a aucune envie de les rencontrer en adversaire devant une commission d’orientation, mais encore parce qu’il sait pertinemment que leurs influences sur la prise de décision finale risquent d’être plus déterminantes que les siennes, garde néanmoins toute la responsabilité de sa décision.
- Les parents d’élève pourront faire pression sur le titulaire de classe pour obtenir la décision de leur choix, sans que leur responsabilité ne se trouve engagée. Si leur enfant ne réussit pas dans l’ordre d’enseignement de leur choix, ils pourront toujours en attribuer la faute au titulaire de classe qui a pris la mauvaise décision d’orientation.
- On risque donc d’avoir au cours des prochaines années un nombre accru de concordances d’avis sans que cela ne signifie réellement pour les enfants concernés que leurs chances de réussite dans l’ordre d’enseignement de leur choix (ou de celui de leurs parents) ne se trouvent augmentées.
- Les parents ayant plus de chances à obtenir l’orientation de leur choix en exerçant une certaine pression sur le titulaire de classe sont notamment ceux des couches sociales favorisées possédant dans leurs carnets d’adresses des relations avec le monde de l’éducation. L’égalité des chances, même à résultats scolaires équivalents s’en trouve réduite.
- Les titulaires de classe qui ne se mettent pas d’accord avec les parents de leurs élèves risquent de les rencontrer en adversaires devant une Commission d’orientation qui risque de devenir une sorte de tribunal devant lequel les avis contraires doivent s’affronter. Cette situation risque de créer un certain malaise auprès des enseignants qui au cours des deux années précédentes ont tout fait pour aider un élève à obtenir les meilleurs résultats dans ses apprentissages et qui à la fin doivent affronter les parents avec un avis d’orientation différent devant une Commission présidée par leur supérieur hiérarchique qui risque de les désavouer s’ils ne plaident pas de façon assez éloquente un avis contraire à celui des parents.
- Les épreuves standardisées non adaptés à une décision d’orientation risquent de garder leur rôle central devant une Commission d’orientation qui est contrainte d’orienter sur dossier, car connaissant encore moins l’élève à orienter que le conseil d’orientation actuel.
- Le titulaire du cycle 4 n’a aucune possibilité de prendre l’avis d’un enseignant du secondaire ou du secondaire technique, ni même de l’inspecteur pour les élèves qu’il considère comme des cas limites. Son seul interlocuteur possible restera l’équipe pédagogique. Car il sera assez délicat dans ces cas de prendre même l’avis de l’inspecteur qui préside la Commission d’orientation et qui de ce fait risquerait d’émettre un avis avant d’écouter les arguments des parents de l’élève, avis qu’il lui sera difficile de renier par la suite.
- Les parents risquent de considérer la Commission d’orientation comme une instance devant laquelle ils devront plaider la cause de leur enfant par tous les moyens et le cas échéant en accusant le titulaire de classe d’avoir mal préparé ses élèves, afin d’obtenir gain de cause.
- Comme le Conseil d’Etat le souligne dans son avis, la suppression de l’épreuve d’accès ouvrira aux parents non contents de la décision de la Commission d’orientation un recours devant les juridictions administratives
Le remaniement de la procédure proposé par le projet de loi 6985 comporte donc plus de désavantages que d’avantages et le SEW/OGBL demande d’envisager une troisième voie pour l’orientation des élèves de l’école fondamentale vers les enseignements secondaires.
Proposition alternative pour l’orientation des élèves à la fin du cycle 4
Le SEW/OGBL plaide pour une procédure permettant aux titulaires du cycle 4 d’offrir un avis aussi fondé que possible aux parents de leurs élèves.
- Afin d’élaborer cet avis, les titulaires devraient pouvoir soumettre les cas limites à l’inspecteur et à des collègues de l’enseignement secondaire afin de recevoir de leur part des informations supplémentaires susceptibles d’enrichir leurs propres réflexions.
- Les journées d’information ORIKA multipliées par deux dans le projet de loi 6985 pourraient permettre aux élèves du cycle 4 d’obtenir une vue plus large sur le monde du travail et sur les différentes formations offertes par les écoles secondaires à condition qu’elles ne se limitent pas à la visite de deux écoles secondaires techniques qui en font une opération de promotion de leur école.
- Remédier les bilans de l’école fondamentale afin qu’ils permettent de donner une information claire et succincte sur les performances des élèves dans les différents domaines : langues, mathématiques, sciences naturelles, géographie, histoire, éducation musicale et artistique, expression corporelle et réflexions éthiques.
- Elaborer des épreuves communes susceptibles de donner des informations sur les possibilités des enfants à continuer leur parcours scolaire dans les différents ordres d’enseignement. Enlever à ces épreuves leur caractère d’examen et permettre à l’enseignant de s’en servir pour déterminer les forces et faiblesses de ses élèves sans en faire un examen.
- Permettre aux parents d’élèves de s’enquérir des exigences posées par les différentes écoles post fondamentales à travers les journées porte ouverte des écoles.
- Permettre aux enfants d’exprimer leurs prédilections concernant différentes activités pouvant faire l’objet du choix d’un métier.
- Prévoir des échanges approfondis entre le ou les titulaires de classe et les parents afin de se donner le temps d’échanger tous les arguments pertinents pour l’orientation de l’enfant.
Suite à toutes ces informations le titulaire de classe serait amené à donner un avis d’orientation aux parents d’élèves. Les parents d’élèves pourraient accepter cet avis ou inscrire leur enfant dans une école de leur choix tout en sachant que cette décision est la leur et qu’ils seront, le cas échéant, responsables de l’échec de leur enfant.
Le SEW/OGBL est d’avis que suite à une telle procédure, respectueuse de l’avis et de la volonté des parents, la très grande majorité des parents se montreraient d’accord avec l’avis du titulaire de classe et que cela impliquerait moins un rush vers l’enseignement secondaire classique que c’en est le cas actuellement. Encore faudrait-il que l’enseignement secondaire classique soit présenté de façon positive aux élèves et que leurs chances de réussite dans des formations techniques exigeantes soient réelles.
Conclusion :
Le SEW/OGBL est donc d’avis qu’il vaut mieux que l’école publique permette aux parents de faire leur choix sur information fondée par les enseignants du fondamental. Même si leur choix ne correspond pas aux recommandations du titulaire de la classe de leur enfant, ils seront conscients du fait qu’il s’agit alors d’un pari sur le développement futur de leur enfant et qu’ils seront responsables de l’orientation qu’ils ont choisi. À l’âge de 11 ou 12 ans il n’est pas facile d’orienter un enfant et il est préférable d’impliquer les parents dans cette prise de décision plutôt que de leur opposer une commission qui ne connaît pas vraiment l’enfant.
Le SEW/OGBL demande donc de revoir le projet de loi dans ce sens et se tient prêt à apporter son expertise sur d’éventuels remaniements