Quand l’école se déshumanise

Quand l’école se déshumanise
Alors que la plupart des écoles ont connu au cours des 9 dernières années une hémorragie en matière d’enseignants travaillant avec les élèves, les fonctions périphériques et dans la hiérarchie scolaire se sont considérablement accrues. De plus en plus de personnes travaillent à gérer l’école et de moins en moins de personnes interagissent avec les élèves. Les élèves qui devraient devenir des apprenants autonomes et à qui on propose de plus en plus souvent des exercices en ligne sur ordinateur ou ipad. C’est dans l’air du temps, chacun devient l’entrepreneur de soi-même et mieux vaut l’apprendre dès son plus jeune âge. Personne ne se demande si les enfants en sont capables et si l’école n’arrive plus à les aider parce que les enseignants sont trop occupés à faire autre chose que d’enseigner, alors il vaut mieux avoir des parents qui ont le temps et les compétences nécessaires pour les guider dans leurs activités.
Alors que le ministre de l’Education nationale crée chaque jour des structures, des plateformes et des fonctions nouvelles: médiateur scolaire, plateforme Mengschoul.lu, UP Foundation, centres de compétences, directions de région, équipes ESEB, I-DS, I-EBS et j’en passe, les élèves se trouvent de plus en plus confrontés à des enseignants débordés par l’ampleur croissante du travail bureaucratique et des effectifs de classe en augmentation.
Face à cette situation où des élèves ayant des difficultés d’apprentissage rencontrent des enseignants de moins en moins disponibles pour les aider immédiatement dans la classe ou grâce à un cours d’appui, il faut alors employer les grands moyens, en appeler à l’intervention de spécialistes, ce qui selon les différentes directions de région demande déjà la rédaction d’une fiche de renseignement ou d’un plan de prise en charge individualisé, si ce n’est d’un rapport scolaire, ce qui fait qu’à Luxembourg-Ville chaque 5e enfant possède un dossier à la Commission d’Inclusion. Ce que ces dossiers représentent en travail de concertation avec tous les intervenants et en travail d’explication aux parents d’élèves qui doivent évidemment marquer leur accord pour toutes ces interventions de même que pour la constitution du dossier, avant toute intervention concrète auprès de l’élève pour aider le titulaire de classe dans la prise en charge de ses difficultés n’est que rarement pris en compte dans le calcul de la tâche du titulaire de classe qui a souvent plusieurs enfants à besoins particuliers ou spécifiques dans sa classe et dont les leçons de concertation et de consultation dépassent rapidement le volume des 100 heures annuelles prévues dans sa tâche, sans parler des 18 heures annuelles de travail administratif.
Si le titulaire de classe veut quand même s’en sortir sans renoncer totalement à une vie privée en dehors de son travail professionnel, il se rattrapera sur son travail de préparation et de correction des productions des élèves, ce qui en fin de compte réduira encore l’efficacité de son enseignement dans la classe. Il est donc très difficile de voir où se situe la plus-value de ce nouveau système pour les enfants à besoins particuliers et spécifiques et plus encore pour tous les autres enfants.
Pourquoi construire tout cet artifice bureaucratique nécessitant des ressources toujours plus importantes pour la gestion des dossiers au lieu de donner aux équipes pédagogiques sur le terrain les moyens supplémentaires pour travailler directement avec les élèves?
Les équipes sur le terrain n’y comprennent plus rien et le pire c’est qu’elles n’essaient même plus d’y comprendre quoi que ce soit. Elles essaient plutôt de s’en sortir en privilégiant les démarches exigées par la hiérarchie. Ainsi elles s’appliquent encore à faire un plan de développement scolaire, parce qu’il faut en faire un, mais le sens de leur travail leur échappe de plus en plus parce qu’elles n’ont plus le temps d’y réfléchir.
Alors que la première mission de l’école serait bel et bien de développer les capacités de réflexion des élèves, elle est en train d’étouffer ces capacités même auprès de ses enseignants qui du coup tombent dans un activisme aveugle et n’ont plus grand chose à transmettre, si ce n’est justement ce fonctionnement inhumain, parce qu’irréfléchi.
